Marraine de guerre

Le Gourbi - partie 3

— Hé les gars, on va avoir de la visite, annonce un soldat algérien du Corps Franc avec qui j'ai installé du barbelé devant nos gourbis ce matin.

— Qui ? demande Pierre, toujours morose après la perte de sa chienne.

— Des gens de chez vous. Le préfet du Lot et le colonel Georges à ce qu'il parait, répond l'Algérien en insistant sur les "r" avec son fort accent.

— Rien que ça ! dis-je surpris.

— C'est assez courant, les chefs aiment bien voir de leurs yeux comment ça se passe, énonce l'Algérien d'une voix égale.

— Et qu'est ce qu'on attend de nous pendant ces visites ? demande-je curieux.

— Rien. Si on a un peu de chance, on aura droit à une ration supplémentaire, répond-t-il avec un haussement d'épaules.

Il laisse son énumération en suspens en arborant l'air blasé de quelqu'un rompu à l'exercice, comme le militaire expérimenté qu'il est. Âgé de quelques années de plus que moi, il a déjà combattu en Afrique, en Italie ainsi que dans le sud-est de la France lors du débarquement de Provence il y a deux mois. Un grand succès militaire qui force l'admiration ! Les gars du Corps Francs sont depuis auréolés d'une certaine gloire, qu'ils méritent tout à fait, révélant encore plus cruellement le manque d'expérience et l'extrême jeunesse de nous autres, F. F. I. Je suis bien content de les avoir à mes côtés dans les tranchées.

Un bruit de moteur annonce l'arrivée des gradés, suivi de près par les discussions animées des nombreux officiers ayant fait le déplacement. Nous nous redressons au garde à vous près du foyer pour les accueillir selon le protocole. Nous avons beau être des novices, nous n'en sommes pas moins des militaires.

— Rompez, dit la voix reconnaissable du colonel Georges.

— Comment vont les troupes ? demande le commandant Collignon

— Plusieurs gars de l'unité sont grippés et quelques cas de gale sont répertoriés commandant, répond le capitaine Foran qui accompagne tout le gratin pendant la visite.

— Si on peut se permettre Commandant, on manque de savon et de médicaments, dit un des soldats présents.

— Et des chaussettes aussi Commandant, on se gèle les pieds, ajoute un autre.

— Un parachutage de matériel est attendu prochainement. Nous veillerons à ce que vous receviez de quoi vêtir et vous laver convenablement, nous apprend Georges.

— En attendant, voici déjà des cigarettes pour vous montrer que le Lot n'oublie pas ses soldats, déclare le préfet en nous tendant des paquets emballés dans du papier kraft jaune.

Comme chacun des soldats présents, j'en reçois un que je range bien vite dans ma veste, à l'abri de l'humidité. Voilà qui change agréablement du tabac à rouler que l'on touche habituellement. Je ne fumais pas avant d'arriver dans le Médoc, le manque de moyen m'avait gardé à l'abri de cette fâcheuse habitude, mais maintenant que le tabac fait partie de nos rations, j'y ai pris goût et affectionne de fumer une cigarette, surtout par ce temps hivernal.

Comme une bonne nouvelle n'arrive jamais seule, le convoi ayant transporté les officiers véhiculait également le courrier et les soldes. Je viens de toucher 2 246 francs pour mes bons et loyaux services, dont je glisse une partie dans un courrier que j'adresse à mes parents. Ils en ont bien plus besoin que moi qui suis blanchi et nourri, même si ce n'est pas dans des conditions satisfaisantes.

Je garde le reste pour m'acheter quelques bricoles ou prendre un café à Vertheuil. Pourquoi pas en compagnie de Simone ? Je viens de recevoir un courrier de sa part accompagné d'un volumineux paquet. Elle a appris par des copains que j'avais été envoyé sur la ligne de front et a honoré la promesse qu'elle avait faite de m'écrire. Non contente de s'y tenir, elle y a également joint un morceau de porc à partager avec Pierre et Abel, en m'expliquant que son père tenait une boucherie. Quel cadeau singulier ! Mais en temps de guerre, c'est un présent de roi auquel je ferai honneur aujourd'hui-même; il nous permettra de varier nos repas constitués de nos sempiternelles pommes de terre en robe des champs. Il faudra que je lui réponde très vite pour la remercier, d'autant qu'elle a sûrement utilisé plusieurs tickets de rationnement pour nous l'envoyer.