Maquisard

47 12 4
                                    

Après approximativement deux heures de marche, nous nous arrêtons sans crier gare au milieu des bois. Mon guide, Pierre, est tout sauf loquace. Son attitude fermée me décourage de lui poser toute question, même si j'en ai une bonne dizaine sur le bout de la langue. Je me demande les raisons qui font que nous patientons ici. Est-ce un point de rendez-vous ? Je tourne les différents scénarios dans ma tête tout en observant Pierre contrôler les alentours. Après s'être assuré que personne d'autre que nous n'était présent, je le vois s'abaisser et déplacer des branchages pour révéler l'ouverture d'une grotte au milieu de ce que je croyais être une quelconque paroi calcaire. J'ai beau savoir que la région en est truffée, je ne peux réprimer mon étonnement. L'entrée était littéralement à mes pieds sans que je ne l'ai repérée. Je marmonne pour moi :

- Je ne l'avais pas vue...

- C'est le but.

Surpris, je quitte des yeux la cache ainsi révélée pour constater que le visage sévère de Pierre s'est adoucit d'un sourire un tantinet hautain. Il semble satisfait de son petit effet. Ce n'est pas sans me rappeler les bizutages que les deuxième années faisaient subir aux nouveaux enfants de troupe. Message reçu, il va me falloir faire mes preuves ici et Pierre ne me fera probablement pas de cadeau.

- Allez viens, ne restons pas là.

L'ouverture est basse, si bien que je suis contraint de me mettre à quatre pattes pour emprunter le passage. Je repère un élargissement de la cavité rocheuse quelques mètres plus loin permettant de se tenir debout. Je décide de patienter là, ne pouvant aller plus avant sans lumière. Je suis à peine à quelques mètres de l'entrée mais l'obscurité est telle que je n'y vois goutte. Une fois les branches remises en place pour faire leur office de camouflage, mon camarade me dépasse avec une aisance que seule confère l'habitude. Contrairement à moi, il se déplace avec l'agilité d'un chat, trahissant une fréquentation régulière de ce lieu. Tant bien que mal, je tente de le suivre sans grâce aucune, me cognant à tous les obstacles disséminés sur ma route. Puis soudain, je cesse d'entendre ses pas. Je le distingue à peine, mais je crois qu'il s'est retourné pour me faire face.

- J'oublie que tu ne connais pas les lieux. Pose une main sur mon épaule, je vais te guider.

Je ne me fais pas prier et le suis à petit pas pour éviter de lui marcher sur les talons, tentant de ne pas trébucher sur les inégalités du sol. Quelques minutes plus tard, une faible lueur apparaît devant nous annonçant une cavité plus grande. La clameur étouffée de bavardages me parvient, éveillant mon excitation à mesure que nous nous rapprochons. Ça y est, il n'est plus question de vagues projets ou de futur hypothétique. Il n'y a plus de retour en arrière possible. Ce soir, je deviens Maquisard. Je lâche promptement l'épaule de mon guide et me compose un air solennel qui, je l'espère, masquera la nervosité qui me gagne.

Notre arrivée dans la petite assemblée marque la fin des discussions. Quatre hommes viennent de s'interrompre pour me jauger du regard. J'en profite pour les dévisager à mon tour. Je suis frappé par leur jeunesse. Seul l'un d'entre eux paraît dépasser la quarantaine. Ce constat me rend un peu de mon assurance. Après tout, les trois autres ont mon âge, ou presque. Pour autant que je sache, ils sont peut-être eux-aussi des enfants de troupe manquants à l'appel. J'ai conscience de ma valeur et de ce que je peux apporter à cette unité. C'est donc un regard déterminé que je leur renvoie, attendant que l'un d'eux se décide à prendre la parole pour briser ce silence qui devient pesant. Le plus âgé lance à l'attention de Pierre :

- C'est lui Adrien ?

- Oui Capitaine.

Comme je l'avais suspecté, le doyen du groupe est aussi celui en charge de l'autorité. Le Maquis a beau n'être composé qu'en partie de militaires, il fonctionne avec une hiérarchie toute militaire. Me voilà en terrain connu. Il n'a pas le temps de répondre à Pierre qu'un concert de protestations jaillit de la bouche des trois autres.

- On dirait un adolescent !

- On a suffisamment de volontaires qui affluent de toute part ces derniers temps. On devrait être plus sélectifs.

- Tout à fait d'accord. A quoi va-t-il va nous servir celui-là ? Juste une bouche de plus à nourrir, à coup sûr !

Je suis bouche bée devant tant de véhémence. De quel droit se permettent-ils de me juger sur le critère de l'âge ? Eux qui n'ont qu'une poignée de printemps de plus que moi. Je ne m'attendais pas à un accueil chaleureux, certes. J'avais envisagé de la méfiance, de la réserve. Mais pas cette franche hostilité.

- Silence. Le prochain qui ouvre la bouche sans autorisation sera de corvée de latrines pendant deux semaines.

Sa voix de stentor et son ton autoritaire ont produit leur effet, réduisant au silence la troupe indisciplinée. Je réprime un sourire. Ce n'est pas le moment de me faire plus d'ennemis que je n'en ai déjà.

- Quel âge as-tu ?

- Dix-neuf ans Monsieur.

- C'est mon Capitaine. Tu fais plus jeune qu'il n'y paraît. Nous sommes affiliés aux Groupes Venyu. En nous rejoignant, tu vas aussi contribuer à libérer la France mais tu vas aussi risquer ta vie. Tu en es conscient ?

- Oui mon Capitaine.

- Bien. On en voit beaucoup des gars de ton âge qui fuient le Service de Travail Obligatoire. Qu'est-ce que tu sais faire ?

- Je suis enfant de troupe depuis mes treize ans. Je sais manier les armes, utiliser une carte et m'orienter, en plus de mon bagage de bachelier.

Je m'arrête là dans mon énumération. Je ne sais pas bien ce qui pourrait leur être utile d'autre. Ce n'est pas un entretien d'embauche puisque je suis déjà là, parmi eux. Je ne voudrais pas paraître prétentieux. La première impression est cruciale et je préfère faire profil bas.

- Bien. On devrait te trouver une utilité. Un groupe partira dans quelques jours en opération. Tu en feras partie. D'ici là, tu auras le temps de te familiariser avec l'organisation.

- Oui mon Capitaine.

- Nous allons te conduire au camp. Nous nous déplaçons souvent, ce n'est pas le grand luxe. Tu es prévenu.

Je réalise que cette cache n'est pas le camp. C'est évident si on y regarde de plus près. Il n'y a rien si ce n'est une lampe, quelques couvertures et quelques caisses ayant probablement servies au ravitaillement ou au transport de munitions. C'est un lieu de passage, plus probablement une cache d'armes qui sert occasionnellement à faire venir les nouvelles recrues comme moi sans compromettre les positions du reste du groupe au cas où les choses tournent mal. La prudence est de mise. Je le comprends. Il va me falloir faire mes preuves. Et aussi quelques amis. Ça ne sera pas de trop.

Marraine de guerreOù les histoires vivent. Découvrez maintenant