La réponse

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Je regarde avec résignation l'horizon droit devant, essayant de deviner au loin les contours de la fortification allemande qui nous fait face, comme pour nous narguer, sachant pertinemment que nous ne tenterons rien pour les déloger de leur position. Nous sommes moins nombreux, trop chichement armés et, avouons-le, pas assez entraînés pour se mesurer à presque vingt milles soldats allemands rompus à l'art de la guerre. Tous ceux qui ne sont pas allés en Normandie pour combattre après le débarquement se sont retrouvés sur les côtes du sud-ouest pour finir par se retrancher ici, sur cette langue de terre marécageuse et nauséabonde que l'on appelle la Pointe de Grave.

Je déteste ce pays où l'humidité ambiante s'insinue partout, trempant nos chaussures et nos pantalons d'une moiteur glacée dont nous sommes tous les victimes transies. Pour moi qui ai grandi dans les étendues sèches du Causse, le climat girondin est particulièrement difficile à supporter et je me prends à rêver d'un bon feu de cheminée et du plaisir simple de sentir mes pieds au sec. Au rythme où vont les choses, il va me falloir attendre encore un moment avant de voir ce rêve se réaliser... Parce que l'armée ennemie ne fait pas mine de vouloir céder le moindre pouce de terrain, allant même jusqu'à nous narguer en faisant des incursions dans les terres pour se ravitailler avant de revenir par là où ils sont arrivés. Le tout à notre barbe, sans que nous puissions lever le petit doigt pour les en empêcher; ce qui a le don de faire enrager les troupes et de miner notre moral.

Nous sommes donc réduits à les encercler et à attendre. Attendre quoi exactement ? Une fin pacifique de la guerre ? Des renforts alliés pour infliger une défaite en règle à ces Boches ? Je ne sais pas. La commandement ne nous dit pas grand chose, à croire qu'ils ne savent pas mieux que nous malgré leurs galons. Alors j'attends dans la tente que je partage entre autres avec Pierre et Abel, allongé les bras repliés derrière ma tête, perdu dans mes pensées.

— Hé les gars, le courrier est arrivé, annonce un camarade à la ronde.

Abel est le premier de nous à se lever. Pierre et moi nous lançons un regard entendu et laissons fleurir un sourire de connivence sur nos visages. Nous savons parfaitement que cet enthousiasme débordant ne doit rien à la perspective d'une missive familiale. Il nous serine suffisamment les oreilles avec la fille aînée de ses voisins pour que l'on ait une idée assez précise de la nature du courrier qu'il espère recevoir aujourd'hui. A chaque fois que la distribution est annoncée, je me surprends à espérer mine de rien la réponse de Madeleine. J'essaie de ne pas y accorder trop d'importance mais plus j'y pense et plus l'idée d'avoir une confidente me plaît, même si je sais qu'un refus est tout à fait possible. Après tout, elle ne me connaît ni d'Eve ni d'Adam et elle serait en droit de s'opposer à un quelconque échange de lettres avec un inconnu, fusse-t-il un camarade de son voisin.

Je me lève malgré tout à la suite d'Abel pour m'enquérir d'un éventuel pli de mes parents. Maintenant que le reste du pays est libéré, exceptées les quelques poches de résistance dont la Pointe de Grave fait partie, les familles peuvent de nouveau correspondre avec leur proches en toute sécurité. C'est un soulagement de pouvoir leur faire suivre des nouvelles afin de les rassurer et d'en recevoir en retour.

Au milieu d'un amas de soldat, un homme en uniforme vocifère à qui mieux mieux les noms et grades de tous les destinataires. Chaque fois qu'un nom résonne, le visage de l'heureux élu s'éclaire d'une expression de joie authentique à l'idée de lire les nouvelles qui lui ont été adressées.

— Sergent Adrien, deuxième régiment d'infanterie du Lot !

— C'est moi, répond-je avec assurance.

Je ne me lasse pas d'entendre mon grade, même s'il est encore modeste. Au terme de l'entraînement que j'ai suivi à Toulouse, je me suis vu attribuer le grade de Sergent, au égard à mon niveau scolaire et à mon parcours en école d'enfant de Troupe. Je ne suis donc pas simple soldat mais je suis déjà sous-officier. C'est un bon début même si je ne perds pas de vue mon ambition de devenir officier en intégrant St-Cyr après la guerre.

Marraine de guerreOù les histoires vivent. Découvrez maintenant