La goutte au nez, je renifle pour la énième fois avant de manquer de m'étouffer dans une quinte de toux qui m'arrache la gorge; la faute au coup de froid attrapé dans les gourbis. Abruti par une fièvre de cheval, je suis contraint de garder le lit comme un impotent. Pour couronner le tout, une migraine dont je n'arrive pas à me débarrasser me martèle les tempes sans pitié; même mon fidèle recueil des poésies de Lamartine ne me fait pas envie. Je n'ai le cœur à rien. Il faut dire que l'ambiance est déprimante.
Près de moi repose Abel, atteint du même mal que moi, flanqué de deux autres soldats, blessés au cours d'un exercice de tir d'obus qui a dévié de sa course initiale pour percuter un arbre, tuant un homme au passage. De l'autre côté sont allongés trois F.F.I. qui ont trouvé malin de faire sauter une mine en tirant une balle dedans. Ceux-là ont eu de la chance de n'avoir que de légères contusions; on a vu des membres arrachés pour moins que ça. L'invité d'honneur de cette troupe de bras cassés est sans équivoque le lieutenant que l'on a rapatrié ce matin du front pour avoir reçu une balle dans la jambe suite à une escarmouche avec les Boches. Lui au moins peut tirer une certaine fierté de la raison de son passage à l'infirmerie. Je me sens pour ma part passablement misérable de m'y trouver pour un rhume, ou, plus probablement, une grippe.
— Sergent, une lettre pour vous, m'interrompt l'infirmière en entrant dans le dortoir, soucieuse de ne pas réveiller ceux qui dorment.
— Merci Mademoiselle. Pouvez-vous la poser là s'il-vous-plaît ? Je la lirai un peu plus tard quand mon mal de crâne sera passé, prononce-je avec effort en indiquant la tablette.
— Voilà. Appelez-moi si besoin, je suis à côté, me répond-t-elle en se retirant discrètement.
Malgré mon épuisement, aussi bien physique que moral car je supporte très mal l'inaction, et contrairement à ce que je viens d'annoncer à la garde-malade, j'hésite à la lire immédiatement. S'agit-il de bonnes ou de mauvaises nouvelles ? Je tourne et retourne les différents scénarios dans ma tête, imaginant le pire comme le meilleur pour mes proches, ces divagations me privant définitivement du repos auquel j'aspirais. Décidé à mettre fin à cette agitation, je retourne l'enveloppe pour y lire le nom de Madeleine qui m'arrache le premier sourire de la journée.
Sans plus réfléchir, je déchire le rabat et découvre avec étonnement une carte postale flanquée d'une photographie noir et blanc de Notre Dame de Paris, comme me le confirme la petite légende en bas. Le cliché a été pris de nuit, avec en premier plan une Seine d'un noir d'encre dans laquelle paraît le reflet illuminé de la cathédrale, comme une ombre fantomatique. Si je ne suis jamais allé à Paris pour l'observer de mes propres yeux, la littérature, et en particulier Victor Hugo, se sont chargés de me la faire connaître. Au dos de la carte dansent les cursives élégantes tracées par la main de ma marraine.
Cher filleul,
Je profite de mes loisirs d'après déjeuner pour vous écrire, je n'ai absolument rien à faire pour l'instant. C'est une aubaine et je voudrais qu'elle dure assez longtemps, ou, tout au moins, le temps de faire ma correspondance.
Je vous joins un véritable questionnaire car j'aimerais connaître vos goûts. Répondez-y si vous le voulez à vos moments perdus, ou jetez-le, ce qui serait une autre solution, si cela vous ennuie.
Questionnaire à remplir
Aimez-vous la musique ? Quel genre ?
Aimez-vous la danse ? Quel genre ?
Aimez-vous la peinture ? Quel genre ?
Aimez-vous la lecture ? Quel genre ?
Aimez-vous les sports ? Quel genre ?
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Marraine de guerre
RomanceAu cours de la seconde guerre mondiale, un jeune homme prend le maquis et entre dans la résistance. Il s'appelle Adrien. Comme nombre de soldats, il noue une relation épistolaire avec une jeune femme inconnue, sa marraine de guerre. De ces lettres n...