Retrouvailles

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2 mois plus tard

Grâce aux munitions et aux explosifs réceptionnés, nous n'avons eu de cesse d'harceler les Boches, leur tendant des embuscades sur les principaux axes routiers, coupant des lignes téléphoniques ou mettant hors-service les voies de chemin de fer. Toute action bonne à retarder leur regroupement dans la moitié nord de la France était considérée et aussitôt mise en pratique. Si bien que les troupes ennemies stationnées à Cahors se retrouvent depuis quelques semaines isolées et encerclées à l'intérieur de la ville, ne se permettant plus que de rares patrouilles aux abords immédiats de leurs positions. Tous les maquis quercynois faisant partie des Groupes Veny contrôlent désormais les principaux axes desservant la préfecture du Lot et les tiennent en respect. Nous sommes du nombre.

Nous coupons pour notre part les accès Nord, empêchant un éventuel retrait vers Brives. Je regrette quelque peu notre précédent campement qui, à défaut d'être confortable, nous fournissait au moins un peu de fraîcheur. La touffeur accablante du mois d'août rend ce jeu de cache-cache particulièrement pénible, à tel point que nous utilisons les toiles des parachutes largués par les Alliés pour nous préserver du soleil de plomb qui nous assomme et nous rend quelque peu léthargiques.

Mes camarades n'ont qu'une envie, celle d'abréger cette attente et de donner l'assaut pour libérer enfin notre chef lieu dans lequel se terrent les derniers Allemands du coin. Nous le pourrions aisément grâce à notre supériorité numérique; après tout ils ne sont que sept cents, mais une telle bataille ferait encourir trop de risques inutiles aux Cadurciens et nous avons ordre d'attendre. Certains membres de ma famille font partie des habitants calfeutrés dans la ville, je comprends et salue d'autant plus la prudence dont fait preuve le commandement. Je me résigne donc à souffrir en silence de la chaleur et à prendre mon mal en patience. Tout le monde dit que ce n'est que l'histoire de quelques jours avant que l'affaire soit réglée pacifiquement, mais les messages d'espoir et d'optimisme ont été tellement nombreux depuis le début de la guerre que je ne peux m'empêcher de me préparer au pire. En l'occurrence, une attente longue et usante.

Notre lot quotidien s'est néanmoins grandement amélioré depuis le mois de juin; les Lotois n'ont plus à se cacher pour nous aider et nous soutiennent maintenant ouvertement. Sans les prélèvements abusifs des denrées comestibles dont étaient coupables les Allemands, il est également moins difficile d'approvisionner l'intendance et nos estomacs s'en trouvent un peu mieux remplis. C'est salutaire car, à défaut d'action, ce sont désormais les repas qui rythment nos journées. L'occasion de laisser s'exprimer la franche camaraderie qui caractérise notre unité. C'est le début d'après-midi et la soif se fait durement sentir. Pierre rompt la torpeur dans laquelle nous sommes.

— Qui aurait un peu d'eau ? Ma gourde est vide.

— Tiens, sers-toi de la mienne.

— Tu devrais te méfier, il n'y aura pas que sa salive là-dessus, je l'ai surpris à embrasser la fille de la ferme d'à côté, pas plus tôt que ce matin...

— Hé, occupe-toi de ce qui te regarde !

Des exclamations et des sifflets admiratifs viennent saluer la divulgation de cette information. Il faut dire que Pierre a beaucoup de succès auprès de la gent féminine et qu'on l'envie tous un peu. Ses épaules massives et sa crinière blonde constituent des atouts naturels qui, combinés à son caractère naturellement jovial, font un malheur chez les jeunes filles, nettement plus disposées au flirt au fur et à mesure que la menace allemande s'estompe. Comment lutter quand Dame Nature m'a affublé d'une petite taille et de cheveux bruns quelconque alors que j'aurais pu hériter de la blondeur et des yeux bleus de mon père ? Abel, qui a lâché l'information, souffre pour sa part de ses manières un peu rustaudes et d'une timidité envers le sexe opposé qui n'arrange rien.

Marraine de guerreOù les histoires vivent. Découvrez maintenant