Le stage - Partie 2

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Les cours ont débuté depuis plus d'un mois déjà. La discipline y est assez sévère mais l'ambiance est bon enfant. J'ai fait la connaissance de quelques gars avec qui j'ai noué des liens : Fabre, un garçon timide qui me rappelle un peu Abel, et Brouquil, un solide gaillard qui tient sacrément bien la bouteille. Car, ce que la formation nous laisse en temps libre, nous l'employons volontiers dans les bistrots d'Hourtin quand l'aumônier ne nous organise pas de soirées cinéma. Comme tous les dimanches matins, je me rends à la messe, qui est toujours prononcée dans l'église d'Hourtin malgré qu'elle ait été durement éprouvée par un obus. Son toit béant laisse entrer les bruits alentour. C'est assez singulier d'écouter l'homélie du prêtre mêlée au chant des oiseaux !

Sitôt l'office terminée, Brouquil et moi grimpons à deux sur un vieux clou pour nous rendre à Vertheuil. Lui doit descendre à Cissac, juste avant. A chaque kilomètre, nous alternons celui qui pédale et celui qui est porté. Alors que c'est mon tour et que je peine à nous faire avancer, je me demande ce qui m'a pris de choisir précisément le gars le plus charpenté de la promotion comme binôme pour cette excursion... Heureusement pour moi, le Médoc est un pays plutôt plat.

Je le dépose à destination, devant l'école du village, et suis sur le point de reprendre mon trajet pour parvenir à la mienne lorsque je croise Alice, dont le logement de fonction est attenant à l'établissement. Elle me fait un grand signe de la main en me reconnaissant, puis s'approche. J'essuie la sueur qui perle sur mon front pour essayer de me donner bonne figure. J'aime bien être à mon avantage lorsque je suis en présence de dames. C'est râté.

— Vous tombez bien Sergent. Je viens d'apprendre une mauvaise nouvelle qui n'a sûrement pas encore eu le temps de vous parvenir. Le père de Simone est décédé avant-hier.

— Ah bon ? Vous savez de quoi il est mort ? Je l'ai vu la semaine dernière et il avait l'air bien portant.

— Une crise cardiaque je crois. Comme vous, tout le monde le pensait en pleine forme... Êtes-vous en route pour Vertheuil ?

— J'allais effectivement voir Simone. Ce n'est peut-être pas le meilleur moment...

— Au contraire, vous lui apporterez sûrement du réconfort.

— Merci de m'avoir informé Alice. Je vais aller présenter mes condoléances à sa famille.

Assommé par la nouvelle, je pédale mécaniquement sur les trois kilomètres qui séparent les deux communes. Depuis le début de mon stage, j'ai pris l'habitude de venir la voir de manière hebdomadaire. Nous nous promenons dans les vignes, derrière chez elle, qui sont rapidement devenues le théâtre de nos rendez-vous galants. Si personne ne nous a jamais fait de remarque, je ne me fais aucune illusion, sa famille sait forcément que nous y échangeons des baisers.

La dernière fois, Simone m'a présenté ses parents. Nous avions joué tous ensemble au Nain jaune dans une athmosphère si chaleureuse que j'ai eu l'impression de faire partie de la famille. L'homme que j'ai connu là-bas était jovial, comme un commerçant peut l'être. De petite taille, le visage rond, vissé sur des épaules musclées qui semblaient avaler son cou. Il faut dire qu'à manier des carcasses de bétail comme il le faisait tous les jours, il y avait de quoi vous muscler un homme. Les rares photos qui étaient disposées dans la pièce de vie montraient pourtant la silhouette de quelqu'un à l'embonpoint massif, que les privations de la guerre s'étaient probablement chargées de réduire. Si bien qu'il avait effectivement l'air d'être en parfaite santé. Peut-être a-t'il fini par payer ses excès de bonne chair... Je l'ai côtoyé très peu de temps mais ressens beaucoup de peine pour Simone qui doit accuser cette perte de plein fouet. J'ai du mal à imaginer ce que je ressentirai à sa place si mon père disparaissait.

Marraine de guerreOù les histoires vivent. Découvrez maintenant