Après ces quelques heures, trop courtes, passées avec mon père, je suis retourné à contre-coeur rejoindre le reste de mon unité. C'est déjà le petit matin et nous venons de recevoir l'ordre de partir en direction de Toulouse avec pour objectif de la libérer à son tour; l'affectation est à effet immédiat, nous laissons donc les festivités aux habitants. Du reste, ce dont nous commençons à être témoin ne me plait guère; de macabres processions commencent à défiler dans les rues où l'on voit se côtoyer des femmes en pleurs et des hommes aux visages anxieux, présumés coupables de collaboration. L'heure des comptes a sonné et j'ai un mauvais pressentiment. Je m'en ouvre à Abel qui se trouve assis à côté de moi dans le camion en route vers la ville rose.
— A ton avis, que va-t'il leur arriver à ces hommes et femmes collabos qu'on a aperçus dans les rues tout à l'heure ?
— J'ai entendu que les catins qui couchent avec les Allemands, on leur tond les cheveux.
— Ils n'ont pas perdu de temps si j'en crois les crânes rasés que j'ai vus tout à l'heure...
— Il faut croire que les personnes qui tenaient les ciseaux n'avaient pas lu les affiches. J'en ai vu plusieurs dizaines comme celle-là placardées dans les rues.
— Fais voir, je demande, curieux.
Il sort un feuillet plié en quatre de l'une de ses poches et me tend l'impression en noir et blanc, simplement intitulé "APPEL À LA POPULATION" en lettres capitales introduisant un texte annonçant la libération du département dans lequel figure le passage auquel Abel fait référence. On peut y lire :
"Ceux qui ont trahi la France recevront le châtiment que mérite leur trahison, les patriotes victimes des nazis et de Vichy seront vengés. Mais la justice se fera dans l'ordre. La sécurité, l'ordre et les services publics seront assurés par nos soins".
Le document est signé par le chef d'état major des F.F.I. ainsi que par le nouveau préfet du Lot. Peu convaincu par l'effet dissuasif d'une simple affiche, j'annonce à voix haute mes craintes :
— J'espère qu'il n'y a pas eu pire que des cheveux coupés avant le placardage de ces affiches. Parce que certains avaient vraiment l'air de vouloir en découdre.
— J'ai entendu dire que des hommes suspectés d'avoir aidé les Boches ont été fusillés dans les villes voisines. Et pas toujours par un tribunal militaire si tu vois ce que je veux dire...
Ces femmes porteront leur honte jusqu'à ce que leurs cheveux repoussent et bien au-delà dans les mémoires de tous leurs proches et voisins. Une punition humiliante pour un péché qui, lorsqu'il était consenti, ne faisait finalement de mal à personne. Sans parler de toutes celles ont été contraintes; dans une guerre les femmes sont malheureusement des victimes faciles. J'ai de la compassion pour elles.
Quant aux hommes qui se sont illustrés par leur cruauté, dénonçant les uns, fournissant des renseignements dans le seul but de nuire aux autres; ceux-là méritent de rôtir en enfer !
— Et ce serait bien dommage, j'ajoute. Une exécution sommaire serait un châtiment trop clément pour ces enflures. J'espère qu'ils subiront le déshonneur d'un jugement public où sera révélée au grand jour l'étendue de leurs vices.
— En même temps, je comprends ceux qui veulent se faire justice eux-mêmes.
— Tout ça va tourner au règlement de compte si notre lieutenant-colonel n'y met pas bon ordre.
— Et la situation risque de se reproduire à Toulouse. Au rythme où vont les choses, la ville sera libérée ou presque à notre arrivée.
— Ce serait étonnant. A Cahors, ils ont fui en catimini alors que là-bas, il y a encore plusieurs milliers de soldats, ce sera une autre paire de manches.
***
Après avoir éliminé les derniers tireurs en embuscade sur les toits, Toulouse a bientôt résonné des mêmes manifestations de joie que Cahors moins de trois jours plus tôt. Maintenant que la ville rose est débarrassée des Boches, nous nous demandons tous ce que nous allons faire. Alors que les drapeaux arborant la croix gammée et le quartier général nazi sont encore en train de brûler, les membres des maquis du Lot sont désormais réunis devant le lieutenant-colonel Georges, suspendus à ses lèvres, pour savoir quel avenir nous attend.
— Maquisards, grâce à vous, Toulouse est la seule grande ville française à s'être libérée par ses propres moyens ! Voilà une preuve supplémentaire de votre valeur !
Un concert d'exclamation de joie éclate dans nos rangs. Posté debout sur la carrosserie d'un véhicule allemand, je suis le premier à rugir de fierté.
— Trente cinq d'entre nous ont donné leur vie pour vider ces rues de l'ennemi et faire prisonniers douze milles Allemands qui n'iront pas prêter main forte en Normandie. Ils ne seront pas oubliés.
Aucun de mes amis n'a été touché. Considérant le nombre de soldats ennemis présents au moment de notre arrivée, le bilan reste étonnamment léger.
— Vous avez maintenant un choix qui s'offre à vous : rentrer dans vos foyers et profiter d'un repos bien mérité, ou vous engager dans l'armée et vous voir offrir un entraînement militaire digne de ce nom, ici à Toulouse, en vue de combattre à la Pointe de Grave en Gironde. Les contrats d'engagement seront disponibles dès aujourd'hui à la caserne Niel. Je salue le courage de ceux qui choisiront de rentrer chez eux; votre participation a été décisive. Je dis d'ors-et-déjà merci à ceux qui s'engageront; la lutte continue, le chemin vers la Victoire est à portée de main. Vive la France, Vive la République !
Abel, qui se tenait près de Pierre et moi pendant le discours de Georges, se retourne et nous demande, plus par rhétorique qu'autre chose :
— Vous allez faire quoi vous les gars ?
— M'engager évidemment ! Répond Pierre.
— Moi aussi, tant qu'il y aura des Boches sur notre sol, je combattrai ! Et toi ? Je demande, me doutant déjà de la réponse.
— Pareil, vous allez encore devoir me supporter !
— Allons signer ces papiers alors !
En parvenant devant l'immense grille métallique contrôlant l'accès à la caserne Niel, nous constatons que nous sommes loin d'être les seuls à vouloir poursuivre la lutte armée; une file déjà bien fournie de volontaires s'étend du bâtiment en brique rouge, à gauche de l'entrée, jusqu'à la rue. Effectuée dans une ambiance joviale frisant l'euphorie, l'attente est moins longue que ce que je craignais et je me retrouve rapidement, assis sur une chaise, face à un bureau de petite dimension ou un soldat portant un brassard tricolore imprimé d'une croix de Lorraine, le symbole des F.F.I., est en train de taper à la machine les contrats d'engagement volontaire identiques à celui que je tiens entre mes mains. Il est tellement absorbé par son travail à la chaîne qu'il ne m'adresse même pas un regard.
A cause du brouhaha ambiant, c'est à peine si j'entend ce que l'autre militaire me dit en me tendant un stylo dont je me saisie pour remplir avec soin mon état civil avant d'apposer ma signature en bas du formulaire stipulant les mentions suivantes :
"Je déclare sur l'honneur m'engager pour la durée de la guerre à servir avec fidélité et discipline dans les rangs des Forces Françaises de l'Intérieur et me conformer à toutes les exigences de la discipline militaire"
Une boule d'émotion mêlée de fierté se forme dans ma gorge. Voilà, c'est officiel, je suis enfin devenu ce que j'ai toujours voulu être : un militaire au service de sa patrie.
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Marraine de guerre
RomanceAu cours de la seconde guerre mondiale, un jeune homme prend le maquis et entre dans la résistance. Il s'appelle Adrien. Comme nombre de soldats, il noue une relation épistolaire avec une jeune femme inconnue, sa marraine de guerre. De ces lettres n...