Le Stage - partie 3

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Après un mois et demi de dur labeur, me voici arrivé au terme de ma formation. Pendant toute la durée de l'instruction, nous avons assisté à beaucoup de conférences sur des sujets variés parmi lesquels le combat défensif, les mines, l'aviation, les chars d'assaut... J'ai même dû effectuer des croquis de terrain en vue d'une reconnaissance. Moi qui avais dit à Madeleine que je n'étais pas peintre, il faudra bientôt que je révise ma déclaration, car mes dessins étaient plutôt bons d'après les dires de mon instructeur.

Au socle théorique s'est ajouté la pratique, qui a demandé endurance et précision. Nous avons enchaîné les exercices de groupe au combat, les manœuvres à pied et autres marches à la boussole dans la campagne. Et évidemment, les exercices de tir. A l'évaluation, j'ai obtenu dix-neuf points sur vingt avec mon fusil anglais à une distance de cent mètres. Je suis assez fier de moi. Mes performances sont néanmoins moins brillantes à l'écrit car je n'ai obtenu que la onzième place au classement final, sur soixante stagiaires. Quand je découvre le classement de Pierre, je m'exclame :

— Deuxième ! Félicitations mon vieux !

— Merci. J'en reviens pas...

— J'ai entendu que les meilleurs stagiaires seraient invités à dîner ce soir à la table du Colonel Georges. Chanceux va.

— Franchement, j'aurais préféré fêter ça avec tous les autres gars.

— Allez, on pensera à toi quand on fera la tournée des bistrots.

Je lui tape sur l'épaule en m'esclaffant. En vérité, je ne l'envie pas du tout et préfère de loin la perspective d'une soirée gaie et arrosée à celle du sérieux de la table des officiers.

Nous somme interrompus par la voix d'un camarade :

— Bravet, Bellamit, le Lieutenant Arnaud vous demande.

Nous cessons de rire, retrouvant brusquement tout notre sérieux.

— Qu'est ce qu'on a bien pu faire pour se faire convoquer ? dit Pierre.

— Aucune idée...

Lorsque nous nous présentons devant le Lieutenant Arnaud, nous n'en menons pas large.

— Sergents, j'ai eu vent de votre projet d'intégrer une école d'officier après la fin de la guerre. Ce qui ne saurait tarder. Votre projet est-il toujours d'actualité ?

Toujours méfiants, nous acquiesçons sobrement.

— Bien. Avez-vous entendu parler de l'école Churchill ?

Devant nos mines incertaines, le Lieutenant continue.

— Elle est pour l'instant basée en Afrique du Nord mais il est prévu qu'elle soit rapatriée en Bretagne dès la fin du conflit. Étant donné vos bons résultats au stage, je peux inscrire vos noms sur la liste des demandeurs. Êtes-vous intéressés ?

Evidemment, nous acceptons. C'est ainsi que nos perspectives de devenir officier se trouvent relancées, de manière parfaitement inattendue. Je suis même prêt à traverser la Méditerranée si nécessaire. Après tout, rien ne me retient ici.

***

Pendant que les meilleurs d'entre nous mangent avec le gratin — nous avons pris soin de passer devant la salle des officiers pour nous assurer qu'ils étaient bien en train de se restaurer — nous partons avec deux camarades leur mettre le lit en portefeuille. Ils auront une surprise au moment du coucher, ce soir, quand ils seront bien gris. Une fois notre œuvre terminée, nous pouffons comme des enfants, ravis de notre coup, avant de rejoindre les autres pour préparer la représentation théâtrale que nous avions prévu de donner dans la salle des fêtes.

Je n'avais jamais vu autant de personnes massées dans cette pièce avant ce soir. Les civils ont été conviés à cette petite sauterie, mais personne ne pensait qu'ils seraient si nombreux à répondre à l'invitation. Je passe un bon moment, riant devant les interprétations des petites scènes comiques jouées par mes camarades.

Sur les coups d'une heure du matin, les acteurs laissent place au bal. Je me place en retrait pour observer les danseurs tout en ayant une petite pensée pour ma professeure de danse avec qui j'aurais finalement bien peu pratiqué. Je suis pourtant bien résolu à devenir, sinon un danseur émérite, au moins un cavalier convenable. Et pour se faire, rien ne vaut la pratique. Fabre, qui s'était révélé être un aussi piètre cavalier que moi lors du précédent bal donné à Hourtin, fait un bon partenaire d'entraînement et nous enchaînons deux airs gais. Le dernier, un swing, m'évoque le penchant de ma marraine pour la musique rythmique qui semble avoir envahi les bals depuis l'été dernier. Les Allemands en avaient interdit la diffusion, ce qui m'allait fort bien puisque je ne goûtais guère à ce genre. Mais j'en viens à reconsidérer mon avis sur la question tant la mélodie enlevée me donne envie de taper du pied, même si je trouve toujours un peu ridicule toutes ces figures où l'on semble être monté sur ressorts.

Les deux violons et l'accordéon suffisent à électriser la salle entière mais ne parviennent pas tout à fait à masquer le grondement des bombardements qui pilonnent la côte toute proche depuis au moins vingt minutes. Certains sont si puissants qu'ils font vrombir les fenêtres.

Nous y sommes tous habitués mais je ne peux pas m'empêcher de remarquer que leur fréquence a considérablement augmenté ces derniers jours. Je repense aux paroles du lieutenant ce matin "la fin de la guerre ne saurait tarder" ou quelque chose s'en approchant.

Marraine de guerreOù les histoires vivent. Découvrez maintenant