Aux portes du Reich - Partie 1

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Mon expérience bretonne a pris fin aussi vite qu'elle avait commencé. Sitôt de retour de permission, nous avons pris paquetage et matériel direction les Vosges, troquant ainsi avec regret les plaisirs pétillants du cidre et les expéditions de pêche contre une vie de garnison bien monotone. Où sont passées les heures haletantes des combats en Gironde ? À voir l'ennui dans le regard vide de Pierre lorsque nous vérifions les papiers des conducteurs qui transitent par notre poste de contrôle, il partage mon désarroi.

— On en est réduit à faire du contrôle routier. C'est pas vraiment comme ça que j'avais imaginé notre avenir dans l'armée... dis-je, ressassant ma mauvaise humeur entre deux voitures.

— Je ne devrais pas dire ça mais je regrette un peu le temps des gourbis. C'était quand même plus excitant, répond Pierre.

— Moi aussi. Il faut dire ce qui est : on s'ennuie ferme ici. Vivement le retour au service actif.

— C'est pour bientôt. Il parait qu'ils vont nous envoyer en Allemagne.

— Oui j'ai entendu les rumeurs. Il est question de l'Autriche aussi. On devrait bientôt être fixés. Sans oublier le Japon, toujours à l'ordre du jour.

— J'aimerais mieux pas. Le Japon je veux dire.

— Mais quand même... l'Orient... Ça ne te fait pas rêver toi ?

— Pas plus que ça. Quel avantage à voyager quand les plus jolies filles sont en France ?

— T'es incorrigible. Il n'y a pas que les femmes dans la vie.

— Dis le Sergent qui correspond non pas avec une, mais deux femmes.

— C'est un coup bas ça. Simone et moi avons rompu il y a près de deux mois. Nous avons arrêté de nous écrire.

— Mais tu as bien écrit à deux femmes. En même temps.

— Mais tu es jaloux ma parole ?!

— Ne me fais pas rire. L'élève n'a pas encore dépassé le maître.

Nous nous mesurons du regard pendant quelques secondes d'un silence suspendu, avant d'éclater de rire de concert. Je n'ai certes pas la prétention de concurrencer Pierre en matière de séduction. Je ne sais même pas comment qualifier ma relation avec Madeleine. Complice ? Avec certitude. Intellectuelle ? Sans aucun doute. Amicale ? Rien n'est moins sûr. Enfin, au départ c'était le cas. Mais je mentirais si j'affirmais n'éprouver aucun intérêt d'une autre nature pour elle. Si j'ai remis notre rencontre à plus tard, c'est uniquement pour paraître plus à mon avantage la prochaine fois. Elle a des traits si charmants sur sa photographie... Elle aurait certainement été rebutée par mon allure de soldat de retour de guerre. Avec une figure comme la sienne, elle doit déjà avoir plusieurs soupirants. Que ferait-elle d'un de plus ?

— A quoi tu penses avec cet air renfrogné ? me demande Pierre.

— À rien.

— Allez à d'autres. Crache le morceau.

Je n'y ai recours que rarement mais maintenant semble un bon moment. Je vais mentir. Enfin, pas vraiment. Je vais juste... détourner la discussion. Je ne souhaite en aucun cas parler sentiment avec Pierre, il tournerait tout à la dérision.

— Je pense au corps d'arme qu'on rejoindra, si on intègre l'école d'officier et qu'on décroche le diplôme. Tu choisiras lequel toi ?

— L'armée de terre je pense. Et toi ?

— La légion étrangère.

Pierre accueille ma déclaration avec un sifflement assorti d'un haussement de sourcil assez comique.

Marraine de guerreOù les histoires vivent. Découvrez maintenant