Chapitre 3 - Amélia

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La sonnerie qui retentit dans le couloir indique la fin de mon cours. Et celle de ma journée puisque c'était ma dernière heure.

En une fraction de seconde, ma vingtaine d'élèves a rangé ses affaires et est déjà debout pour quitter la classe.

— Et n'oubliez pas de relire les chapitres vingt et vingt et un ! Contrôle lundi prochain.

Un soupir général traverse l'assemblée.

Je n'aime pas particulièrement ça, mais les évaluer fait partie du job et la direction du lycée dans lequel je travaille exige que je le fasse au moins une fois par mois.

— Ne soupirez pas comme ça, ou la prochaine fois je ne vous préviens pas.

Quelques élèves se mettent à rire. Ils savent que je bluffe. Les interros surprises, ce n'est pas mon truc. Je n'en ai jamais vu l'intérêt. S'ils savent qu'ils vont être notés, tous travaillent et y mettent du leur... Selon moi, c'est comme ça qu'ils progressent.

Je fais de mon mieux pour les intéresser à ce que j'enseigne et ils font de leur mieux pour donner tout ce qu'ils ont pendant leurs évaluations.

Jusqu'ici ça me réussit plutôt bien. Je suis considérée comme la prof la plus cool et mes élèves ont de très bons résultats.

Ma direction est satisfaite et me laisse donc une paix royale. Je suis gagnante sur tous les plans.

Au niveau boulot, rien à signaler donc.

Sur le plan personnel, non plus. Il faut dire que le fait de toujours habiter chez mes parents à bientôt vingt-sept ans n'aide pas. Enfin, j'exagère. Je n'habite pas vraiment chez eux. Mais dans la petite maison attenante à la leur.

En théorie je devrais être tranquille chez moi. En pratique, mes parents sont dans les parages H24. Ils essaient de se montrer discrets, mais sont loin de l'être.

Non pas qu'ils s'immiscent dans ma vie de façon significative, mais... ils sont là.

Et même si je les adore, je n'ai vraiment pas envie que ma mère voie passer, en regardant par la fenêtre, le type que je ramène pour la nuit. Le seul avantage de cette situation est l'absence de loyer. Non négligeable, je dois dire.

Et je reconnais que c'est ce qui, jusqu'à maintenant, m'a poussée à rester ici.

Je peux mettre de côté une grande partie de ma paye chaque mois et me faire plaisir donc je ne peux vraiment pas me plaindre.

Ça m'a, entre autres, permis de rembourser mon prêt étudiant en un temps record. Mais depuis quelque temps, je songe de plus en plus à prendre mon envol.

Je voudrais trouver un petit chez moi loin des yeux indiscrets de mes géniteurs.

À New York, toujours. J'aime trop cette ville pour m'en éloigner et mon travail est ici.

Gabe me dit que c'est absurde. Que j'ai de la chance de ne rien payer et que je ferais mieux de continuer à en profiter.

En même temps, il est mal placé pour me juger puisqu'il occupe a lui seul le dernier étage de l'hôtel de ses parents dans l'Upper East Side. Alors forcément, lui ne connait pas ces problèmes d'intimité...

Il m'arrive souvent de le rejoindre et d'aller passer la nuit dans la chambre d'amis de la suite. Il me dit que je suis ici chez moi et lui adorerait que nous habitions tous les deux. Mais je ne suis pas certaine que je supporterais bien longtemps ses escapades sexuelles nocturnes alors je préfère m'abstenir.

Plus j'y pense et plus je me dis que c'est la solution. Un chez moi. Et tant pis pour le loyer.

Si c'est le prix de ma liberté, je suis prête à y laisser la moitié de ma paye s'il le faut.

— Salut Amélia.

J'étais tellement absorbée par mon raisonnement que je n'ai pas entendu arriver mon collègue. Ma classe est désormais totalement vide et il a dû me prendre pour une dingue à me voir parler toute seule. Super.

— Eh, salut.

Grand brun à la carrure athlétique, Jacob est professeur de mathématiques ici. C'est un ancien joueur de football et je dois bien reconnaître que, malgré les années et la quarantaine qui approche, il reste tout à fait charmant.

Il m'a pris sous son aile lors de mon arrivée ici. Je l'apprécie beaucoup. Et je crois pouvoir dire avec certitude que c'est réciproque.

— Alors... la menace du contrôle surprise, vraiment ?

Je secoue la tête en riant.

— Ils en parlaient dans le couloir c'est ça ?

Jacob rit et prend place sur le coin de mon bureau.

— Absolument. Et je suis au regret de te dire que personne n'y croit.

— Je n'ai donc aucune crédibilité vis-à-vis de mes élèves, c'est bien ça ?

— Je crains que non. Mais si ça peut te rassurer, tu es la star de ce lycée. J'ai entendu Milton dire que tu étais la prof la plus sympa depuis Madame Westler.

— Qui est Madame Westler ?

— Mon ancienne prof de physique. Elle n'enseigne plus depuis au moins quinze ans, mais c'était elle la chouchoute, avant ton arrivée.

— Oh, et bien dans ce cas... Je me contenterais de ce titre. Et tant pis pour ma crédibilité.

Je réunis mes affaires pendant que nous parlons.

— Tu es pressée ?

— Pas vraiment, je n'ai rien de prévu.

— Ça te dit d'aller boire un verre ? J'ai fini moi aussi.

— Avec plaisir.

Il me tend le bras que je saisis en souriant.

— Dans ce cas allons-y, je t'invite.

Juste colocs?Où les histoires vivent. Découvrez maintenant