L'AMOUREUX

Chapitre XXXI : La Fenice

Venise, avril 1996

LIAM

J'ai ignoré Tom toute la journée. Je sais qu'il n'avait pas l'intention d'être méchant mais sa réflexion m'a énervé. Durant les entrevues avec les vendeurs et acheteurs, j'essayais d'être le plus à l'écoute possible mais après avoir acquis le piano de ce matin, le reste m'importait peu. Je n'avais envie que d'une chose, c'était d'aller à l'opéra pour m'évader de tout ce stress.

Je repense à Joy et j'ai remarqué que sa lèvre avait plutôt bien cicatrisée. J'étouffe un petit rire en me rappelant comment nous avions débattu lorsque qu'il avait fallu retirer les points de sutures. Elle avait soutenu qu'elle pourrait le faire seule mais après cinq minutes à n'arriver à rien, elle est apparue dans le salon, l'air vaincu, en me demandant de l'aider. Elle n'a cependant pas avouer que j'avais raison mais j'ai bien compris que jamais Joy n'avouerait une chose pareille.

— Un problème ? me demande soudainement le vendeur en face de moi.

— Non, aucun, excusez-moi, reprenons.

Tom m'envoie un regard assassin, que j'ignore. Une fois la journée finie, je roule en direction de La Fenice. Je n'avais pas vu le temps passer et le soleil se couchait. Comme toujours, j'ai la salle rien que pour moi quand je le demande.

Les lumières sont allumées. Je contemple cet arc de cercle face à la scène comme si c'était la première fois, alors que cela sera ma 30ème représentation dans peu de temps. Je n'arrive pas à croire que la première fois, je n'avais que 10 ans, soit 5 ans après notre départ à Gio et moi.

Après avoir quitté la maison, nous avons toqué à toutes les portes de Rome pour qu'on nous accueille au moins pour la nuit. Gio avait pris de l'argent en liquide pour payer le bus.

Une vieille dame nous avait recueillis, piazza Navona. Rosalie était devenue notre nouvelle grand-mère. Nous n'avons jamais su pourquoi elle avait accepté de nous venir en aide. Sûrement a-t-elle été touchée par notre récit quand Gio lui a dévoilé que nous étions partis de chez nous après la mort de ceux-ci. Malheureusement elle est morte il y a maintenant quelques années.

Elle nous avait inscrits à l'école du coin. C'est elle qui a découvert mon talent pour le piano et m'a inscrit au conservatoire. C'est grâce à cette vieille dame qui a recueilli deux enfants sans famille dont les parents sont mystérieusement morts que je suis ce que je suis.

Giovanna a été vraiment formidable avec elle. Elle l'aidait pour tout. Quand Rosalie faisait à manger, Gio m'aidait pour les devoirs et quand j'allais dormir, Rosalie aidait Gio avec les siens.

Chaque fois, je lui dédie tous mes morceaux.

Je traverse les rangées de sièges et lève la tête pour contempler ce magnifique plafond et la fresque qui décore celui-ci. Les allégories de la musique, de l'aurore et de la danse qui dansent dans le ciel bleu sont d'une merveille. Je ne me lasserai jamais de contempler cette salle rococo flamboyante.

Je monte sur scène où un piano m'attend. Je tape deux trois touches histoire de voir s'il est bien accordé et enfin, je joue.

Les notes résonnent autour de moi, s'envolant dans la salle pour aller se cacher dans tous les recoins. Mes doigts frôlent chaque touche délicatement pour faire ressortir la musique s'échappant de l'instrument. Les notes fusent dans ma tête et celui-ci les transmet à mes mains. La musique m'emporte peu à peu mais je suis malheureusement ramené à la réalité par de petits applaudissements venant du fond de la salle.

Joy est là. Elle est habillée d'une jolie robe sirène noire accompagnée d'un petit gilet blanc dont les deux parties se rejoignent sur sa poitrine nouées d'un petit noeud. Ses talons noirs pailletés retentissent sur le sol en approchant de la scène. Plus elle s'approche, plus je peux apercevoir qu'elle n'est maquillée que de ses tâches de rousseurs. Ses longs cheveux se balancent de part et d'autre de son corps dans sa marche. Elle ne porte pas non plus de bijoux. Il y a simplement ses lunettes qui habillent son magnifique visage.