L'AMOUREUX

Chapitre XXXIV : Douce-amère

Venise, avril 1996

LIAM

J'entends ses sanglots toute la nuit et c'est la pire des mélodies qui soit. Mes oreilles saignent d'entendre les cris de douleur de Joy.

Je décide de sortir de ma chambre et d'aller dans ma salle de musique pour m'imprégner d'une nouvelle mélodie. Je m'installe au piano et joue. Les notes sortent de mes doigts et s'envolent dans la pièce. J'ai toujours eu une préférence pour le piano même si j'affectionne le violon et la harpe. Le piano m'a beaucoup aidé dans une période de ma vie difficile.

La perte de mes parents a été une dure épreuve pour Gio et moi. Même s'ils ne m'aimaient pas, c'étaient mes parents. J'ai beaucoup composé pour eux à une période puis j'ai décidé de les effacer de ma vie et de les laisser dans le passé. Ma vraie famille était Gio et Rosalie. Puis Tom et Marius sont entrés dans ma vie, suivis de Louise et maintenant Joy.

— C'est beau.

Je m'arrête soudainement et tourne la tête vers la femme aux yeux verts qui est appuyée contre la porte, les bras croisés sur sa poitrine. Elle porte une chemise de nuit noire en dessous d'un long pull en laine rouge. Ses cheveux lui tombent sur les épaules.

— Merci.

C'est le seul mot que j'arrive à sortir. Je ne sais pas quoi lui dire.

— Vous allez mieux ?

Elle se rapproche en baissant ses mains et en les joignant dans son dos. Je sens bien que ce n'est pas le sujet qu'elle a envie d'aborder pour le moment mais j'ai besoin de savoir si elle va bien ou pas et si je peux faire quelque chose. Une fois à côté de l'instrument, elle parle :

— Vous jouez de la harpe ?

— Oui, aussi.

— Voulez-vous bien jouer pour moi ?

Je ne m'attendais pas à ce qu'elle me le demande, mais je cède si simplement à sa requête. Il suffit de quelques mots à mon corps pour qu'il exécute chaque chose qu'elle lui demande.

Je m'installe et place la harpe entre mes jambes et décide de lui jouer Air sur la corde de sol de Bach. Elle s'assoit sur le siège du piano et m'écoute.

Je connais cette partition par cœur. Je peux la jouer indéfiniment. Ce qui est bien avec Bach, c'est que la plupart de ses morceaux peuvent être interprétés par n'importe quel instrument. Je jette un coup d'œil à Joy et elle est complètement obnubilée par mes doigts qui se baladent sur la harpe.

J'aimerais qu'ils se déplacent sur son corps comme ils se déplacent délicatement sur les cordes de cet instrument qui est tout aussi gracieux qu'elle. Pour lui montrer que les mains et les doigts ne sont pas que violence et torture et peuvent être douceur et plaisir.

Je finis la partition.

— C'était magnifique, elle commente. Depuis combien de temps en jouez-vous ?

— Seulement quelques années.

— Seulement ? On a pourtant bien le sentiment que vous en jouez depuis toujours.

— C'est l'impression que j'aime donner.

Alors, un silence s'installe.

— Joy, je suis désolé. Pour votre mère, pour tout en fait. Je suis désolé pour ce que cet enfoiré vous fait vivre, désolé du temps que nous avons mis à vous retrouver, désolé de ne pas vous avoir connue plus tôt, désolé pour tout.

— Vous n'avez pas à vous excuser, Liam, rien n'est de votre faute. C'est la sienne. Et de la mienne...

— Non, Joy, non. C'est à cause de nous et de nos putain de secrets, je ne peux pas retenir mes mots sous la colère. Ce n'est pas de votre faute.