Chapitre 39

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Le soleil entrait à flots dans l'appartement quand Aramis ouvrit la porte. Il prit le plateau des mains de Filon, et le remercia d'un sourire chaleureux.

Derrière le paravent, posé tout près de la cheminée, il entendit le clapotis de l'eau dans la baignoire et il ne s'en étonna pas. Il avait vu le ballet des seaux entre les cuisines et l'étage.

C'était la troisième fois depuis que Tréville était parti, l'avant-veille.

Skye s'était réveillée dans l'après-midi, alors que LeMay venait d'arriver. Elle l'avait viré sans ménagement, grondant qu'aucun homme ne poserait plus jamais la main sur elle, même si elle devait en crever.

Pourtant, c'est Aramis qui était sorti et le médecin qui était resté. Longtemps. Apparemment, ses connaissances médicales avaient amadoué son épouse.

Mais depuis, Skye prenait un bain, voir deux, par jour. Serge marmonnait, mais faisait tout chauffer des litres d'eau rien que pour elle. C'est cela qui l'inquiétait. Pas pour une peur irrationnelle du mal que pouvait lui faire l'eau, elle s'immergeait complètement nue dans la baignoire, une aberration pour beaucoup, mais pas pour elle. Elle lui avait expliqué que les médecins se trompaient en mettant les personnes en garde contre la dangerosité de l'eau et il connaissait maintenant les vertus de la propreté.

Non, ce qui l'inquiétait, c'est que ce comportement dénotait un choc. Deux ans plus tôt, après que d'Herblay l'a agressée, elle avait eu ce besoin compulsif de se laver.

— Skye, je peux approcher ? demanda-t-il calmement après avoir posé le plateau sur le guéridon, devant la grande fenêtre.

Elle ne répondit pas et il prit cela pour un oui, fit le tour du paravent.

Elle avait enroulé ses cheveux dans une serviette pour ne pas les mouiller, Constance l'avait aidé à les laver la veille, mais quelques mèches s'échappaient, collant à son dos mouillé et couvert d'ecchymoses.

Physiquement, elle allait bien. Les plaies étaient propres malgré ses bains quotidiens. Ou à cause ? L'hygiène, il n'y a que ça, lui répétait-elle, et pas avec du vinaigre, mais avec du savon. Elle avait envoyé Philippe en chercher chez les lavandières, puisque c'étaient les seules qui l'utilisaient à outrance pour laver le linge qu'on leur confiait.

L'eau en était blanchie au point qu'on ne voyait plus son corps. Depuis combien de temps était-elle là-dedans ?

Il s'assit sur un petit tabouret sans qu'elle lève les yeux sur lui, continuant à se frotter le bras avec beaucoup trop d'énergie. Sa peau était rouge sous la mousse du savon.

— Tu vas te faire mal, fit-il doucement.

Elle arrêta son geste un bref instant avant de le reprendre.

Il se pencha et lui prit le poignet. Elle résista un instant avant de lâcher l'éponge.

— Je sais, marmonna-t-elle en soupirant. Je peux pas m'en empêcher.

Il lâcha son poignet, plongea ses doigts dans l'eau.

— Elle est froide, querida.

Elle pinça les lèvres.

— Il y a de l'eau qui boue dans la cheminée.

Il prit une longue inspiration. Il attendait depuis trois jours qu'elle lui dise autre chose que "comment va Luna ?", quand elle acceptait sa présence dans la chambre, c'est-à-dire le temps de lui apporter un plateau auquel elle ne touchait pas.

Et si elle s'inquiétait de Luna, pas une fois elle avait demandé à la voir.

LeMay lui avait conseillé la patience, mais il connaissait trop Skye pour ignorer qu'elle devait lâcher la pression pour ne pas exploser et prendre une décision qu'elle regretterait ensuite. Il devait agir maintenant.

Quatre Siècles et une Croix - II - Revenir Vers ToiOù les histoires vivent. Découvrez maintenant