Chapitre 46

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          L'après-midi avait été plus calme que la matinée. Postée à la fenêtre qui donnait sur le parc, elle observait les deux hommes depuis un long moment. Aramis et Porthos, assis chacun d'un côté du même arbre, adossés au tronc, le chapeau rabattu sur le visage, ils dormaient, indifférents aux va-et-vient des mousquetaires autour d'eux. De temps à autre, ils chassaient d'une main lasse un insecte importun, puis retombaient dans leur immobilité. Ce n'était pas la première fois qu'elle les voyait faire ça. Après une garde de nuit au Louvre, ou bien après une mission. Ils récupéraient le sommeil perdu.

Athos avait besoin de moins de sommeil et il était parti annoncer à Cavalier qu'il pouvait vendre le cheval, mais que l'argent ne lui reviendrait pas. Le harnachement lui avait déjà rapporté bien plus que la pension. D'Artagnan était rentré auprès de Constance et d'Eve, qui partageait désormais leur domicile. S'il se sentait envahi et si son intimité en était grandement contrariée, il ne se plaignait pas et Skye ne savait comment l'en remercier.

Elle était consciente que tout ça était sa faute. Cependant, quand le second garde-rouge serait aux mains des mousquetaires, Eve, et surtout Luna, serait en sécurité, et si tout se passait bien, cette nuit, Viroix rejoindrait Dampierre.

Elle soupira et se tourna vers Philippe, qui lisait son livre d'anatomie, installé à son bureau. Il leva les yeux sur elle et sourit.

— Tout va bien, madame ?

Elle hocha la tête, s'approcha du bureau et il fit mine de se lever pour lui rendre sa place. Elle leva la main pour l'arrêter.

— Bouge pas.

Elle s'assit en face de lui et contempla l'infirmerie d'un œil satisfait ; ses étagères bien rangées, ses lits aux draps tirés au cordeau, son plancher d'une propreté irréprochable. Il ne restait que quelques toiles d'araignée, perchées bien à l'abri au plafond. Philippe était tout aussi intransigeant qu'elle sur la bonne tenue des lieux et quand elle était revenue travailler, elle avait trouvé l'infirmerie aussi propre et bien rangée que lorsqu'elle en était partie.

Elle croisa les jambes, posa ses doigts entrelacés sur son genou.

— Tu l'aimes bien ce livre, sourit-elle.

— C'est le Dr LeMay qui me l'a confié.

Elle pencha la tête en fronçant légèrement les sourcils. 

— Tu ne cesses de me parler de lui. Tu sembles beaucoup l'apprécier.

Philippe hocha la tête et elle sourit. L'entretien qu'elle avait eu avec le jeune médecin l'avait surprise. Il était bien plus évolué que les médecins d'aujourd'hui.

— C'est un homme très ouvert et qui veux toujours apprendre. Il ne connaissait pas l'asepsie.

Skye cilla.

— Tu lui en as parlé ?

— Il avait déjà remarqué que plonger ses instruments dans de l'alcool évitait les infections. Je n'ai fait que le lui confirmer et je l'ai fait pour le bien des patients. Vous m'avez appris que seuls les patients et leur bien-être comptaient, et il tient le même discours. Je suis certain qu'il aimerait apprendre de vous comme j'aime le faire.

Elle sourit, sceptique.

— Un médecin n'apprend pas d'une guérisseuse, objecta-t-elle.

— Mais d'un autre médecin, oui.

Elle se raidit, fixa sur le garçon un regard aiguisé.

Il avait terriblement changé en quelques mois. Son acné juvénile avait pratiquement disparu, une ombre blonde ornait sa lèvre supérieure et il avait indéniablement pris de l'assurance. Le garçon devenait un homme, et elle se rappela ce qu'elle avait pensé de lui la première fois qu'elle l'avait vu. Qu'il serait un très bel homme, et elle ne s'était pas trompée.

Quatre Siècles et une Croix - II - Revenir Vers ToiOù les histoires vivent. Découvrez maintenant