- Emprise (2) -

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La joue appuyée sur ma main, le coude enfoncé dans ma cuisse, je commence à avoir les yeux secs à force de les garder ouverts.
Je me souviens que Line m'a veillé quand je me suis fait empoisonner à la Citadelle. Maintenant que c'est elle qui est allongée dans un lit à l'infirmerie, je lui rends la pareille.
L'Infirmière en Chef passe près de moi, accompagnée de Kiko, une pile de linges propres dans les bras. Sa cape jaune avec l'œil de notre clan dessus bruisse doucement quand elle s'arrête, un sourire en coin aux lèvres.

- Suppa... elle s'est juste évanouie. Ce n'est pas grave. Elle a dû un peu trop en faire, et puis c'est tout, fait Yuko.

Je sais que ce n'est pas simplement qu'elle "en a fait trop". Le choc de ce qui a failli lui arriver a dû être rude. Mais à ce point ?
Je serre les dents. Si je revois Ash, il faudra que je me retienne de lui mettre mon poing dans la figure avant de lui demander des explications.
Je relève la tête vers l'infirmière en Chef. Je lui suis reconnaissant des efforts qu'elle met en œuvre depuis une heure pour me rassurer.
Il peut sembler ironique que j'ai peur des médecins alors que je considère Yuko un peu comme... ma tante ? Depuis la mort de sa sœur, Kynra, elle m'a en quelque sorte pris sous son aile, à l'inverse de son autre sœur, Kyrth, qui ne semble pas me porter dans son cœur pour je ne sais quelle raison. Ash, je comprends. Autant Kyrth, je ne vois pas du tout pourquoi.

Je jette de nouveau un coup d'œil inquiet à Line. On dirait qu'elle dort... Ma main se resserre sur la sienne.
Kiko s'approche de moi et me tapote le masque de l'index.

- Monsieur le Général, t'es amoureux !

Je rougis brusquement - heureusement que j'ai mon masque ! - et lui donne une petite claque sur la main pour la tenir à distance.
Personne ne se serait permis ça à part elle (et Line maintenant que j'y pense), qui se moque bien d'un quelconque respect parce que nous avons le même âge, avons tous les deux suivi les cours tyranniques de Kyrth, et avons aussi gravis les échelons à une vitesse fulgurante, même si elle s'est arrêtée plus tôt que moi sur cette dernière.

J'ai un vague souvenir d'une discussion avec Line à propos de la hiérarchie dans le clan. En tout cas, je me souviens parfaitement de sa réaction : "Ça a l'air d'être un beau bordel, tout ça !"

- Qu'est ce qui te le fait dire !? Dis je à voix basse pour ne déranger personne dans l'infirmerie et l'obliger à baisser d'un ton.

- Allez Suppa, tout le monde est au courant... ça crève les yeux. Fait Yuko, ne pouvant s'empêcher d'ajouter son cristal de sel.

Bon sang... c'est si visible que ça ?
Non que j'ai un jour cherché à le cacher, mais ça me gêne un peu tout de même...
Je passe la main sous mon masque pour me pincer l'arrête du nez.

- On peut faire comme si cette discussion n'avait jamais eu lieu ? Demandé je.

Elle explose de rire, est très rapidement rabrouée par notre Infirmière en Chef, et retourne auprès de cette dernière en pouffant.

- D'accord, si tu veux, gamin.

Je fais une tête blasée heureusement indiscernable sous mon masque.

Je sais que deux heures de plus se sont écoulées en silence par la suite grâce à la petite bougie sur la table de chevet près du lit de Line.
L'infirmerie est calme. Il n'y a presque personne, à part deux ou trois Yigas avec quelque chose de cassé et un léger rhume. Le dernier, je le déduis par les régulières mais espacées quintes de toux et éternuements.
Elle a toujours été ainsi. Lumière tamisée par les petits lampions et bougies par ci par là, silence apaisant... pourtant, cet endroit me terrifie.

Je crois que je suis resté traumatisé par l'aiguille que je sentais tout près de mon œil quand il a fallu recoudre la plaie ouverte par Ash. Ce jour là, c'est Kiko qui me l'a sauvé en réagissant à temps.

La plaie d'il y a quelque temps déjà que je me suis faite à l'épaule - appelons cet tragédie comme il se doit, sans ambages : éradication de notre gang par les Hyliens - a également nécessité des points, Line s'étant rendue compte que j'étais blessé. Elle m'a traîné de force à l'infirmerie, où Yuko a consenti dans un soupir à m'endormir totalement. Au moins, maintenant, je ne suis plus distrait par la douleur quand je suis obligé de subir l'un des longs monologues du Prophète.

J'hésite à parler à Line quand elle se réveillera de la réunion que nous avons eu avec lui. J'ai un drôle de pressentiment par rapport à ce qu'il nous a annoncé.
Le Grand Kohga et moi sommes les seuls a avoir connaissance de l'événement à venir, mais je doute que cela soit une bonne idée de l'annoncer à tout le clan.
...
Je voudrais pouvoir en parler à Line... Mais finalement je me dis que ce n'est pas le bon moment. Elle doit encore se remettre de ses émotions. Je sais que c'est la surprotéger un peu trop que faire ça, mais je ne peux m'empêcher de m'inquiéter pour elle.
Tu as raison Kiko... Je ne peux le nier.

Parfaitement calme, je caresse silencieusement la joue de celle sur qui je veille. Même à travers mon gant je sens la chaleur de sa peau. Ça me rassure : elle n'est pas froide comme un cadavre.

Quand je retire ma main, je réalise que je commence à somnoler car ce simple mouvement est un peu compliqué à effectuer.
Je finis par poser mon bras sur le dossier de la chaise et appuyer ma tête dessus. Même dans cette position plutôt inconfortable, fatigué comme je l'étais, je me suis endormi.

**********

Je me redresse brusquement, affolée, tant et si bien que Suppa, endormi sur une chaise à côté de moi se réveille en sursautant.
Je peine à reprendre ma respiration, portant les mains à mon cou par réflexe.

Suppa s'assoit précipitamment sur les draps à côté de moi et me fait le regarder.

- Tu es blême. Que se passe-t-il ? Me demande t il.

Je regarde de tous les côtés, toujours terrifiée. Je suis... à l'infirmerie ? Je reconnais les lits parfaitement alignés, les lampions, les guirlandes et les amulettes collées aux parois.
Mais pourquoi est ce que je suis à l'infirmerie ?

- Suppa... articulé avec difficulté, mon corps étant toujours persuadé de ne plus avoir de quoi parler. Qu'est ce que je fais là ?

Il pose ses mains sur mes joues, me fait tourner la tête doucement de droite à gauche en vérifiant que je suis bien le mouvement, et que mes yeux ne décrochent pas en route.

- Tu t'es évanouie quand tu as essayé de te relever après ton duel avec Ash. Je t'ai amenée à l'infirmerie immédiatement, ça doit faire environ quatre heure que tu y es.

Je reprends peu à peu mon souffle et ma lucidité. J'ai rêvé. C'était un bête rêve. Pourtant, il m'avait l'air si réel... et c'est totalement quelque chose que j'aurais pu vraiment faire.
Je sors un peu des draps pour ne pas trop défaire le lit quand j'enlace Suppa en enfouissant mon visage dans son cou.

- J'ai fait un mauvais rêve.

Apparemment, je me suis évanouie, et ma fatigue l'a emporté quand j'aurais dû me réveiller...
Suppa me rend ma faible étreinte un peu tremblante.

- Qu'est ce qu'il s'y passait, pour te mettre dans un état pareil ?

- L'Emprise de Ganon... elle... Je... elle m'a...

Je n'arrive pas à parler. Ma langue est comme scellée. Est ce que c'est de la peur ? Non. Je n'ai pas peur de l'Emprise de Ganon. Je n'ai pas peur de quelque chose dont la base est ma création.

Alors de quoi ai je peur à ce point, si ce n'est pas d'elle ?

Une idée fait peu à peu chemin dans mon esprit tétanisé.
Ganondorf est l'origine de Ganon. Ce dernier n'est qu'un concentré de toutes ses émotions ses plus mauvaises sans une once d'intelligence. L'Emprise de Ganon, elle, est une partie de Ganon logée dans un artefact d'origine Sheikah, donc, indirectement, elle est reliée à Ganondorf.


Ce n'est pas de l'objet en lui même que j'ai peur. C'est de l'origine la cruauté et de la rage qui le composent dont j'ai peur, parce que je sais que je suis impuissante.

Je suis persuadée que ce n'était pas qu'un rêve. Une prémonition ? Peu probable. Je suis pas une voyante, et je ne tiens pas à l'être si c'est pour finir comme l'Asthmatique.


Un rêve forcé en revanche, c'est possible, même fortement probable. Comme une mise en garde de la part de Ganondorf. Il m'a déjà attaquée dans mon propre esprit à plusieurs reprises, et même si je pensais qu'il avait fini par me laisser tranquille, pourquoi ne réessairait il pas ? Il a échoué à me tuer depuis l'extérieur plusieurs fois. Peut être s'est il finalement rabattu sur sa méthode initiale ? 

Mais cela voudrait dire qu'il commence à retrouver une grande partie de sa puissance. Ou... que Ganon avait en réalité cette puissance en lui depuis le début. Mais que Ganondorf ne puisait pas dedans pour le moment, attendant que sa renaissance soit suffisamment proche pour pouvoir lui pomper de l'énergie sans risquer d'interférer avec sa résurrection.

Ce qui veut dire que Ganon ne tardera pas à renaître, si j'ai vu juste.
Et également que même dans mon propre esprit, je n'aurai plus de repos.


Au fur et à mesure que ces pensées font surface, je comprends qu'inconsciemment j'avais déjà fait toutes ces connexions entre le moment où l'Emprise m'a... séparée en deux morceaux, disons le comme ça, et mon réveil.
C'est donc cette conclusion qui m'a effrayée, alors que je devais déjà être sur les nerfs à cause de l'Emprise.

Suppa décale son masque, laissant tomber une cascade de cheveux blancs aux pointes aussi sombres que les miennes de son oreille. Il m'embrasse le front, et me murmure, apaisant :

- Si tu ne veux pas t'en souvenir, ce n'est pas grave.

Le coin de la lèvre relevé, son œil sang capte mon regard.
Je trouve toujours ça compliqué quand quelqu'un est en face de nous, parce que je ne sais jamais quel œil regarder, puisqu'on ne peut pas regarder les deux yeux en même temps quand on est trop proche.
Du coup, à cause de ça, je suis obligée d'alterner entre l'œil gauche et l'œil droit, quitte à paraître étrange... vous me trouvez bizarre ? Ça tombe bien, moi aussi.
Au moins, quand on est au repaire, avec Suppa, je n'ai pas ce problème là... il n'enlève jamais complètement son masque.

- Dis toi juste que maintenant, poursuit il, tu n'es plus en train de rêver, que quoi que ce rêve ait pu réveiller comme peur en toi, ce n'est pas vrai. Tu es au repaire, certainement dans l'endroit le plus sûr de ce dernier. Et même si un quelconque danger venait à te menacer, même si tu venais à perdre tes moyens alors que tu te battais férocement contre lui...

Je souris en grand devant la petite précision comique glissée dans sa phrase. Alors ça... toi tu sais me remonter le moral, je peux pas dire le contraire.

- ... je suis là aussi. À deux, on peut venir à bout de n'importe quelle difficulté, non ?

Je passe mes bras autour de son cou, et me blotti une nouvelle fois contre lui.

- Oui. Tu as raison.

Si seulement c'était vrai...


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Chroniques d'Hyrule : 1. Haine, Rancœur et VengeanceOù les histoires vivent. Découvrez maintenant