J'observais mon amie agiter ses doigts agiles au milieu de bouts de feuilles colorées, colle et stylos éparpillés sur le bureau, pêle-mêle. Elle noua les deux côtés du panier de papier à l'aide d'un fil de laine. Concentrée sur sa tâche, ses yeux bleu-gris étaient plissés et une mèche blonde barrait son visage poupin. De tous les Troisièmes, elle était la plus douée pour les travaux manuels.
— T'as bientôt fini ? lui demandai-je.
— Presque, me répondit-elle sans même prendre la peine de me regarder.
— Et les lampes torches ?
— Regarde, elles sont dans la poche à l'avant de mon sac. Comme ça on pourra traquer des loups garous, ou mieux, des sorciers ! s'exclama-t-elle d'un air espiègle.
— Très drôle, soupirai-je en levant les yeux au ciel. On va en ville, je te rappelle. Et il ne fait même pas nuit.
Notre chasse aux bonbons promettait d'être épique. À l'occasion d'Halloween, l'association des parents d'élèves avait, avec l'accord de notre proviseur, organisé une fête le 31 octobre. Il tombait un vendredi cette année-là.
Les deux paniers assemblés, mon amie s'acharna ensuite à leur inscrire nos noms en lettres argentées. Le pauvre feutre qu'elle martyrisait semblait prêt à rendre l'âme. Au moment où je pensais à créer une association caritative pour stylos torturés, Amy le lâcha enfin et déposa les deux paniers rouge et blanc côte à côte sur la table.
— Ça y est, c'est prêt ! s'exclama-t-elle toute guillerette en m'offrant son sourire malicieux.
— Alors en route ! ordonnai-je en m'emparant du panier sur lequel on pouvait lire « May » en lettres majuscules.
Ce n'était que mon surnom mais c'est tout ce que vous avez besoin de savoir.
— Hé ! On n'attend pas les garçons ? Tout à l'heure, tu voulais bien qu'ils viennent !
— Non, j'avais dit peut-être. Tu devrais savoir que ça veut plutôt dire non, chez moi. En plus, c'est même pas sûr qu'ils veuillent venir, ils sont bien trop occupés avec leurs cochonneries.
Amy leva les yeux au ciel et capitula :
— Comme tu veux.
Et nous étions parties pour notre aventure clandestine. Les profs nous avaient formellement interdit de sortir de l'enceinte du collège mais nous n'avions pas envie de danser sur des chansons débiles qui parlaient de fantômes et de méchantes-gentilles sorcières... Non, ce n'était vraiment pas notre truc. Nous laissions ce plaisir-là aux Sixièmes. Et de toute façon, personne n'était là pour nous empêcher de nous échapper, raison de plus pour transgresser les règles.
Nous nous faufilâmes à travers les grappes d'ados qui colonisaient le gymnase et traversâmes les couloirs d'un pas nonchalant en échangeant des regards complices, le sourire aux lèvres. Amy poussa avec détermination la porte de sortie de secours à côté des cuisines, où personne ne se trouvait jamais. Nous enjambâmes le petit muret à l'arrière du bâtiment qui nous séparait de notre délivrance malgré nos uniformes (la faute à l'école privée) et nous étions enfin libres, à la conquête des sucreries qui détruiraient notre santé mais dont nous raffolions quand même.
Notre retour s'avéra encore plus triomphal que notre départ : la récolte avait été fructueuse. Depuis le chemin forestier qui reliait le collège et la ville, j'observais l'école sous le couvert des arbres. Le vieux bâtiment ressemblait plus à un manoir tout droit tiré d'un film qu'à un collège. Mais alors que mes yeux se posaient sur les corbeaux qui guerroyaient autour d'une fenêtre du deuxième étage, une vive douleur au crâne m'arracha à mes contemplations.
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Jusqu'à ce que tout disparaisse derrière la Lune
FantastikMay pense être une ado ordinaire. Elle pense que rêver de créatures d'ombre et de poussière est normal. Et elle ne voit pas pourquoi obtenir un score aussi élevé à l'Évaluation, lorsqu'elle atterrit par hasard dans un monde de sorciers, pourrait la...