Le onzième jour, celui des cadeaux, nous étions attablés entre Transferts – pour changer – au fond du réfectoire. J'avais remarqué que les Transferts et les Innés ne se mélangeaient pas plus que ça, mais je ne m'en préoccupais pas plus que ça non plus. Vint le moment où nous avions épuisé tous les sujets de conversations, mais jamais, ne nous étions-nous aventurés sur celui qui m'intéressait le plus... Et j'avais besoin d'éclaircir certaines choses :
— Vous avez tous accepté votre sort sans vous plaindre ou regretter votre vie d'avant ? demandai-je à la cantonade au milieu du repas.
Une fille aux yeux en amandes me répondit, un gobelet au liquide vert que je ne voulais pas toucher dans la main :
— Ouais, je me dis que c'est le destin, qu'on n'a pas le choix, alors on l'accepte.
— C'est un peu fataliste quand même... remarquai-je.
— Que veux-tu faire ? me répondit un garçon aux cheveux châtains. Ce n'est pas nous qui décidons. On n'avait pas plus le choix dans notre monde, tu sais.
— Mais enfin, répliquai-je agacée, on nous a quand même privé de tout ce que nous avions, de tout ce que nous connaissions, de tout ce qui nous ressemblait sans nous demander notre avis ni même nous prévenir !
— Justement, appuya le garçon. On ne connait rien alors c'est plus facile de se réadapter, surtout qu'ils ne nous veulent pas de mal. Ici on est à notre place, parmi des gens qui nous ressemblent et on apprend ce pour quoi on est fait.
— Et puis chez les humains on serait moins en sécurité, renchérit la fille asiatique. Regarde toutes les guerres qui les déchirent entre eux... Moi je suis bien contente d'être ici.
Je faillis m'étrangler avec ma semoule rouge. La façon dont ils parlaient de leurs racines, en ne relatant que ce qu'ils trouvaient négatif, ce détachement dont ils faisaient preuve, je n'en revenais pas.
— Vous vous trouvez à votre place ? En sécurité ? Alors qu'on ne sait quels secrets louches ces murs peuvent renfermer ? demandai-je les yeux écarquillés.
J'eus un frisson en pensant aux Chasseurs de scores. Mais ils ne pouvaient pas savoir, évidemment.
— Qu'est-ce que tu veux dire ? Nous sommes des sorciers parmi des sorciers ! Tu serais pas un peu parano ?
— Non, dit soudain Ethel en sortant de son mutisme. Je pense que la vraie question à se poser est : pourquoi le C.I.S.I. ? Pourquoi arrivons-nous ici lorsqu'on change de dimension et pas ailleurs ? On nous apprend pourtant que le Dashgaïh s'étend bien au-delà des frontières du C.I.S.I !
Je regardai mon amie avec reconnaissance. J'étais soulagée qu'elle pense ainsi. Je n'étais pas seule. Un silence suivit sa remarque avant qu'elle ne reprenne :
— Enfin, il doit y avoir une explication tout à fait logique à ça. Je ne faisais que m'interroger, parce qu'après tout, si nous sommes des sorciers il paraît évident que l'on soit dans une communauté qui les regroupe.
— T'as raison Ethel ! la relançai-je. Pourquoi le C.I.S.I et pas ailleurs ? J'dis ça, j'dis rien mais vous ne vous êtes jamais interrogés sur ce qu'on peut trouver en dehors de ces tunnels ?
— Si, bien sûr, il suffit d'ouvrir le manuel d'ANP pour avoir tes réponses... avança la fille asiatique un brin moqueuse.
— Et de regarder par le vitrail du dôme... ajouta le garçon châtain avec le même ton que sa voisine, qu'il collait de façon presque gênante.
— Je parle de ce qu'il y a au dehors du C.I.S.I et pas de ce qui se trouve sous vos yeux, m'expliquai-je. Réfléchissez : par qui sont choisies les matières que nous étudions ? Les Innés. Par qui sont écrits les manuels que nous apprenons ? Les Innés. Par qui sont donnés les cours ? Les Innés. Par qui êtes-vous gouvernés ? Les Innés. Qui respectez-vous le plus ? Qui devez-vous respecter le plus ? Allez, vous n'avez pas une petite idée ?
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Jusqu'à ce que tout disparaisse derrière la Lune
FantastikMay pense être une ado ordinaire. Elle pense que rêver de créatures d'ombre et de poussière est normal. Et elle ne voit pas pourquoi obtenir un score aussi élevé à l'Évaluation, lorsqu'elle atterrit par hasard dans un monde de sorciers, pourrait la...