Chapitre 12

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Assis sous un saule, Gabriel observait les biches qui nageaient dans les eaux froides du lac. Les faons n'avaient pas le droit de s'aventurer aussi loin : ils se contentaient de jouer près de la rive. Le temps était calme, et une brise fraîche lui caressait le visage.

Le moment était idéal pour réessayer. À nouveau, Gabriel ferma les yeux et se concentra de toutes ses forces. Une veine battit sur sa tempe ; il sentit son cœur s'accélérer ; ses cheveux se hérisser. Des picotements lui parcouraient l'échine et il sentit son nez s'allonger en un museau. Après tous ces efforts, il y arrivait enfin ! Il rouvrit les yeux et regarda ses mains. Elles étaient parfaitement normales. Il tâta son nez : aucun signe de métamorphose.

Il s'allongea dans la neige en soupirant. Peut-être qu'Hermann se trompait après tout. Cela faisait deux longues semaines qu'il était venu le voir afin de lui parler de l'Ordre des Gardiens. Entre temps, il était revenu une fois pour l'informer qu'ils devraient bientôt partir pour commencer la formation, et que Gabriel ferait mieux de se préparer au départ.

Bien sûr, il ne pouvait pas disparaître sans trouver une bonne excuse pour s'en aller, et puis il y avait l'école. Hermann lui avait assuré que les services de l'Ordre feraient en sorte que sa disparition de l'école soit justifiée, et que sa famille ne rencontrerait pas de problème avec l'administration.

Toutefois, Gabriel ne savait pas pour combien de temps il partait. Hermann avait seulement dit que la formation prenait beaucoup de temps. Ce dont il était sûr, c'est que cela prendrait plusieurs années, au moins. Ce qui signifiait qu'il ne reverrait plus ni sa famille ni Charlotte pendant un très long moment. Voire plus jamais.

À cette pensée, son cœur se serra dans sa poitrine. Quitter sa famille l'attristait profondément, mais la perspective de ne plus voir Charlotte le désespérait. C'était sa seule amie depuis l'enfance. Ils avaient grandi ensemble, toujours côtes à côtes en classe, toujours fourrés ensembles dans la cour. Gabriel lui avait toujours tout raconté, tout confié, jusqu'au jour où il s'était mis à parler aux cerfs.

Gabriel mit ses mains derrière la tête et contempla le ciel d'un œil morose. La neige avait cessé de tomber, mais le ciel restait blanc, sans soleil. Tout comme Aislîn, Hermann lui avait formellement interdit de révéler la vérité à Charlotte. Seule sa famille pouvait être au courant. Gabriel avait protesté mais Hermann restait catégorique sur ce point. À croire que, tout comme les cerfs, il était contre l'amitié de Gabriel et Charlotte. Mais selon Hermann, c'était une question de sécurité. On ne pouvait pas compromettre le secret de l'existence de l'Ordre pour un seul gardien. Ils ne faisaient d'exception au secret que pour les familles des gardiens.

Tandis qu'il remuait ces pensées, Gabriel vit Aislîn s'approcher et pencher sa tête au-dessus de lui.

— Ça va Gabriel ? s'enquit-il avec douceur. Je crois que ton amie va bientôt arriver. On ferait mieux d'aller la chercher.

— Tu as raison, répondit Gabriel en se relevant. Allons-y.

Il monta sur le dos d'Aislîn, et celui-ci se mit en marche vers la lisière de la forêt. Quelques cerfs se détachèrent du reste de la harde et les accompagnèrent, par sécurité. Apparemment, Aislîn n'était toujours pas certain que les loups n'étaient que de passage et qu'ils soient partis de la forêt, malgré l'absence de trace et d'odeur depuis plusieurs semaines.

— Au fait, dit Gabriel, merci de la laisser revenir, Aislîn. C'est vraiment gentil de ta part. Je sais que ça te coûte beaucoup.

Aislîn remua la tête, son imposante ramure dansant devant les yeux de Gabriel.

— Si tu pars vraiment, je te devais bien cette faveur. On ne va pas se revoir avant longtemps, et quand tu reviendras tu seras enfin devenu notre gardien. Alors je suis content de pouvoir te faire ce cadeau. Assure-toi juste qu'elle ne se doute de rien à propos de nous.

Le Gardien des Cerfs - Tomes 1 & 2Où les histoires vivent. Découvrez maintenant