Le Gardien des Cerfs - Tomes 1 & 2

Chapitre 26

Gabriel s'avança lentement dans la bibliothèque et observa ceux qui étaient assis en train d'étudier. Tous étaient âgés d'au moins une trentaine d'années, sauf un jeune adolescent au fond de la pièce.

Le large sourire du garçon attira l'attention de Gabriel, qui l'examina plus en détail. Il avait des cheveux châtains en bataille et des yeux verts. Une barbe naissait sur son menton fuyant. Il devait avoir une quinzaine d'années tout au plus. Son costume jaune vif signalait son appartenance au clan des tourterelles. Gabriel tenta de reconnaître l'animal sur sa broche, mais il n'arrivait pas à le distinguer à cette distance.

Le garçon tourna les yeux vers lui, toujours en souriant, et Gabriel fit semblant de regarder ailleurs. Il parcourut les rayons de la bibliothèque et trouva la section réservée aux cerfs. Chaque livre était aussi épais que large. Cela lui prendrait un temps fou pour tout apprendre...

Lorsqu'il retira le premier livre du rayon, quelque chose de gris tomba sur le sol avec un bruit mou. Gabriel se pencha pour regarder de plus près, et fit un bond en arrière en s'apercevant qu'il s'agissait d'un rat mort, couvert de poussière.

Apparemment, personne n'avait consulté ces livres depuis longtemps. Pris de dégoût, Gabriel saisit les premiers livres de la section et alla s'installer à une table vide. Il en ouvrit un et se plongea dans le premier paragraphe.

— Toi tu es nouveau ici, dit une voix.

Gabriel leva les yeux. Le garçon aux yeux verts était assis en face de lui et le fixait avec un regard brillant de curiosité. Il arborait toujours ce large sourire. Ses dents étaient d'une blancheur effrayante.

— Bonjour, répondit Gabriel, déconcerté. Oui, je suis nouveau.

— Gardien des cerfs ? demanda le garçon en examinant la broche de Gabriel.

— Euh...Oui, répondit Gabriel en baissant la voix.

Il s'attendait à ce que le garçon le traite d'assassin, comme les autres, mais celui-ci eut l'air ravi. Son sourire s'élargit encore plus, et il lui asséna une violente tape sur l'épaule dans une parfaite imitation de Joseph.

— Eh bien mon vieux, on peut dire que tu te seras fait attendre ! Ça fait des années qu'il n'y a pas eu de gardien des cerfs. Je m'appelle François Toulon, ravi de faire ta connaissance. Oh et au fait, je ne pense pas que tu aies tué qui que ce soit.

Décontenancé, Gabriel serra la main que lui tendait François.

— Gabriel Prodel, content de te rencontrer aussi. C'est gentil de me croire innocent. Et toi, tu es le gardien des...

— Des corneilles, acheva François. Tu peux dire gardien des corbeaux, même si c'est moins précis. Les gens ne les aiment pas, ils disent que ce sont des signes de mauvais présages. Ce n'est pas faux d'ailleurs. Leurs plumes noires comme la nuit, leurs croassements sinistres... tout en eux rappelle la mort. Ils sont brutaux, fourbes, voleurs, menteurs. Ils attaquent les enfants et les vieilles mémés. Des animaux charmants, si tu veux mon avis.

Gabriel étouffa un éclat de rire, et François reprit :

— Plus sérieusement, ils sont très intelligents et ont un grand sens de l'humour. Je les trouve fascinants. Enfin bref, je ne vais pas t'embêter avec mon espèce, changeons de sujet. Ça fait six mois que j'étudie dans cette maudite bibliothèque. J'ai découvert mes pouvoirs de gardien il y a un an, environ. Et toi ?

— Je les ai découverts il y a quelques semaines.

— Et tu as quel âge ? Moi j'ai quinze ans. Je commence à me sentir seul ici. Y'a que des vieux.