Chapitre 21

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Aymeric franchit l'arcade, suivi par la moitié des nouveaux faons. Il tourna dans une rue à droite, et disparut dans la nuit.

C'était donc ici, le quartier du clan des cerfs. Gabriel franchit l'arcade à son tour, abandonnant derrière lui les autres faons du clan. Il se rendait compte qu'il avait besoin de se retrouver seul, pour souffler, se remettre de ses émotions ; mais surtout, il ne souhaitait pas être accompagné lorsqu'il découvrirait le quartier fondé par son prédécesseur.

Il allait fouler une terre qu'avait déjà foulée Cervus Sylbee, le premier gardien des cerfs. Cervus avait arpenté ce quartier, peut-être même vécu ici, plus de deux mille ans auparavant. Cette fois-là, la première fois, Gabriel voulait être seul.

Il pénétra dans le quartier en observant attentivement les alentours. Les rues, légèrement plus étroites que celles du quartier des chevaux, se croisaient et se mêlaient dans un enchevêtrement complexe. Gabriel dut consulter le plan intégré dans son bracelet et revenir plusieurs fois sur ses pas avant d'emprunter le chemin qui menait à sa maison.

L'architecture du quartier des cerfs était très différente du quartier des chevaux et de celui des calmars : tout était beaucoup plus luxueux. Des lampadaires en bronze ornés de motifs sophistiqués s'alignaient le long des rues. Un petit cerf en or, trônant sur ses pattes arrière, surmontait chaque lampadaire. L'Ordre devait être immensément riche pour se permettre de telles extravagances.

Les maisons n'étaient plus faites en pierre ou en coquillages, mais en bois massif. Elles ressemblaient à des chalets suisses, mais leurs toits étaient plats et leur design était épuré. Des ramures de cerf trônaient au-dessus de chaque porte d'entrée, et constituaient le seul ornement extérieur des maisons. Un numéro accroché aux portes différenciait chaque habitation.

Au coin d'une rue, Gabriel croisa à nouveau le chemin du serpent noir, qui glissait avec souplesse et rapidité sur le sol. Ce dernier ne l'avait pas vu, et continua son chemin avant de disparaître un peu plus loin. Il devait faire partie du clan des cerfs, et cela déplut fortement à Gabriel d'avoir quelque chose en commun avec lui.

Il se remit en marche, suivit les numéros à la recherche de sa maison, et arriva enfin au numéro 256 qui faisait l'angle d'un carrefour. Il gravit les marches du perron, et introduisit sa clef dans la serrure. La porte s'ouvrit dans un grincement, et il pénétra à l'intérieur.

Une odeur de nourriture flottait dans l'air. Il n'y avait pas d'éclairage, et Gabriel tâtonna sur le mur pour trouver l'interrupteur. Il l'actionna, et observa autour de lui. Il se tenait à l'entrée du salon, qui comportait des sofas en cuir de couleur verte et une table basse circulaire en bois ; probablement en acajou. Sa valise avait été posée près de la table basse, sur un tapis de la même couleur que les sofas.

Il pénétra dans la pièce et l'examina plus en détail. À droite, il y avait une bibliothèque en bois qui occupait tout un pan du mur. Gabriel s'en approcha et prit quelques volumes au hasard. La plupart traitaient de l'histoire de l'Ordre, de l'île d'Alakyn ou du quartier des cerfs.

Il reposa les livres sur les étagères et se retourna. De l'autre côté, une porte ouverte donnait sur la cuisine. Gabriel traversa le salon et la franchit. Le mobilier était également en bois, plusieurs chaises entouraient une table rectangulaire qui se trouvait dans un coin de la cuisine.

Un plat fumant était posé sur la table, et Gabriel se rendit compte qu'il était affamé. Il prit une assiette dans un buffet, s'attabla et se mit à dévorer le gratin de courgettes. Cela manquait de viandes. Il se leva et chercha dans le réfrigérateur, mais il n'y avait pas de charcuterie d'aucune sorte.

— C'est logique, finit-il par penser en se rasseyant devant son plat. Si j'étais gardien des coqs, je ne serais pas très content de trouver du poulet au repas. Les repas sur l'île devaient tous être végétariens. Dans le cas contraire, il y aurait toujours des plaintes.

Lorsqu'il eut fini de dîner, Gabriel se leva pour poursuivre la visite. Un escalier en spirale montait au second étage. Il prit sa valise et gravit l'escalier. En haut, la première porte à droite du corridor donnait sur une salle de bain ; petite mais confortable. Il suivit le couloir jusqu'à la dernière porte, à gauche, tourna la poignée et pénétra à l'intérieur. Il posa sa valise sur le sol avant de se redresser et de jeter un regard circulaire sur la pièce.

Son regard se posa sur une masse informe qui reposait sur le lit, et Gabriel eut un haut-le-cœur. Il fit un bond en arrière en étouffant un hurlement. Son dos se cogna violemment contre la porte et il faillit tomber à la renverse, avant de se rattraper in extremis.

Au milieu du lit, un cadavre mutilé gisait dans une mare de sang. Les plaies laissaient encore échapper des flots de liquide rouge, qui s'incrustaient dans le couvre-lit vert. Gabriel s'approcha lentement. Le mort portait une tenue bleue foncée. Probablement un membre du clan des tortues.

Il n'y avait pas un centimètre carré de son visage qui n'était pas lacéré. Pris de panique, Gabriel se pencha sur lui et tenta fébrilement de lui faire un massage cardiaque, mais il se rendit compte rapidement que c'était inutile. Couvert de sang, il regarda tout autour de lui, à la recherche d'un téléphone ou d'un bouton d'alarme, mais il n'y avait rien.

Son regard se posa sur le bracelet argenté à son poignet, et il actionna la molette qui se trouvait sur le côté. Il y avait bien un téléphone sur cet engin, avec le numéro de toutes les personnes se trouvant sur l'île. Mais qui devait-il appeler ?

— Hermann, murmura Gabriel, en cherchant son nom dans le répertoire.

Il le trouva rapidement, et appuya à nouveau sur la molette. Le bracelet vibra, et quelque temps après, la voix d'Hermann s'éleva d'un orifice sur le côté du bracelet.

— Gabriel ? dit-il d'un ton joyeux. Alors, tu es bien chez les cerfs ? J'étais sûr que tu choisirais ce totem, c'était évident ! Désolé de ne pas avoir assisté à la cérémonie, j'étais...

— Hermann ! s'écria Gabriel, désolé de vous interrompre mais il faut que vous veniez tout de suite ! J'ai un très gros problème !

— Qu'est-ce qui se passe ? demanda Hermann d'une voix inquiète.

— Je viens de rentrer dans la maison qu'on m'a attribuée, et je viens de trouver un cadavre sur le lit de la chambre ! Je crois qu'il fait partie du clan des tortues ! Il porte un costume bleu en tout cas !

Un long silence suivit sa déclaration, et Gabriel crut qu'Hermann avait raccroché.

— Hermann ?

— Je suis là, répondit-il enfin d'une voix tendue. J'arrive tout de suite. Ne bouge surtout pas.

Le bracelet vibra de nouveau, et l'écran s'éteignit.

Gabriel soupira et se laissa tomber sur une chaise à côté du lit. Il resta là à fixer le cadavre, incapable de détacher son regard. Mais soudain, quelque chose d'étrange attira son attention. Un papier dépassait de sa poche. Il se leva, s'approcha du cadavre, prit le papier et le déplia. En lettres rouges, qui devaient être le sang du gardien mort, une seule phrase était tracée : « Tu n'es pas le bienvenu sur cette île. »

Le Gardien des Cerfs - Tomes 1 & 2Où les histoires vivent. Découvrez maintenant