Lorsque les rebelles furent à cinq minutes de Felestor, Gabriel se métamorphosa en cerf. Son pelage, blanc et brillant à la lumière de la lune, suscita quelques rumeurs de surprise parmi les cerfs qui le rencontraient pour la première fois, mais Gabriel n'y prêta aucune attention. Sa ramure grandit rapidement et devint plus imposante que de coutume, comme si tout son corps se préparait à combattre.
L'armée des rebelles s'arrêta à environ cent mètres, devant les fourmis. En les voyant si nombreux, Gabriel sentit son cœur battre à tout rompre. Face à ces loups menaçants, ces ours féroces et ces chevaux immenses, il se sentait seul, impuissant. Personne ne viendrait à son aide. Il devait faire face à cette menace par lui-même. S'il échouait, non seulement Felestor serait rasé, mais ses cerfs seraient également massacrés.
Un humain sortit des rangs des rebelles et s'approcha de Gabriel, qui s'avança également vers lui. Il reconnut Raphaël à ses cheveux roux qui flamboyaient à la lumière des torches. Ses yeux scintillaient d'une lueur avide. Il arborait ce même sourire goguenard que Gabriel lui connaissait, et qui découvrait ses canines pointues. Gabriel sentit une haine puissante monter en lui.
— Eh bien ! Eh bien ! lança Raphaël en arrivant devant lui, vous avez fière allure, maître cerf ! À peine sorti du berceau, vous voilà chef de guerre !
— J'aurais dû me douter que vous faisiez partie des rebelles, lança Gabriel avec dégoût, un type déloyal tel que vous. Un salaud avide de pouvoir, voilà ce que vous êtes.
— Avide de pouvoir ? s'esclaffa Raphaël. Regardez autour de vous, Gabriel. L'Ordre empeste l'opulence et le crime. Les flots d'or qui suintent par tous les pores de cette ville puent le sang. Ce n'est pas moi qui suis avide de pouvoir. Vous êtes du mauvais côté et vous devriez...
— Laissez-moi deviner, coupa Gabriel d'un ton ironique, vous allez me proposer de vous rejoindre ? Non merci, massacrer des gardiens et les pendre à un arbre ne fait pas partie de mes projets immédiats.
— Dommage ! soupira Raphaël, le loup sera bien déçu de savoir que vous avez rejeté sa proposition. Il se faisait une joie de vous accueillir parmi nous.
— Et pourtant il n'a pas le courage de venir me faire face lui-même ? lança Gabriel en scrutant l'armée qui se trouvait derrière Raphaël. Est-ce que je l'effraie tant que ça depuis notre dernière confrontation ?
— Disons plutôt que quelqu'un de réservé, répliqua Raphaël. Il vous observe depuis très longtemps et c'est la raison pour laquelle il vous fait cette offre. Néanmoins... disons qu'il est du genre secret.
— Je vois, fit Gabriel. J'aimerais tout de même vous poser une question. Pourquoi avez-vous maltraité ce raille, le premier soir où je vous ai rencontré ? Ce Paul, qui est gardien des ours, il me semble ?
Le sourire carnassier de Raphaël s'effaça.
— Vous avez espionné notre conversation plus longtemps que je ne le pensais, constata-t-il en plissant les yeux. Lorsque je l'ai frappé, Paul revenait du quartier des cerfs. Il a joué le rôle d'espion à Felestor durant toute l'année. Personne ne fait attention aux railles, ils se fondent dans le décor. C'était plus facile pour lui de s'y rendre sous ce déguisement qu'en tant que gardien. Il pouvait mener toutes les missions que nous ne pouvions pas accomplir.
Gabriel sentit son estomac chavirer.
— Qu'est-ce qu'il était allé faire au quartier des cerfs ? demanda-t-il, en connaissant déjà la réponse.
— Il venait juste de tuer Stanislas Louchenko, chez vous. Lorsqu'il est venu me faire son rapport, j'étais en compagnie de gardiens du clan des chevaux, qui méprisent les railles. Cela aurait paru suspect que je le prenne dans mes bras, vous ne pensez pas ?
Gabriel eut une vision fugitive de la silhouette encapuchonnée qui avait tenté de convaincre la gardienne des serpents de rejoindre les rebelles. Il s'agissait de ce raille-gardien des ours, à nouveau en mission. C'était logique, puisqu'il avait menacé la gardienne des serpents de lui réserver le même sort qu'à Louchenko.
— Donc, dit Gabriel avec colère, c'est lui qui a tué Louchenko. Et c'est lui aussi qui a tenté de recruter la gardienne des cobras. Je ne m'en serais jamais douté. Mais vous, Raphaël, vous ne méprisez donc pas les railles ?
— Loin de là, répondit Raphaël en haussant la tête. D'ailleurs, c'est pour ça qu'ils nous rejoignent. Les railles savent qu'avec nous, leurs espèces disparues pourront revivre. Je suis certain que vous-même, Gabriel, vous n'approuvez pas le traitement des railles au sein de l'Ordre. Je vous demande d'y réfléchir à nouveau. Rejoignez-nous.
Gabriel hésita quelques secondes. C'était vrai, il n'approuvait pas la façon dont l'Ordre traitait les railles mais cela ne signifiait pas pour autant qu'il devait rejoindre les rebelles. Pour le moment, il devait soutenir l'Ordre et protéger la ville.
— Non merci, répondit-il enfin. Je vais m'abstenir.
— Comme vous voudrez, dit Raphaël. Puisque vous avez fait votre choix, vous devrez en assumer les conséquences.
Le gardien des chevaux lui tourna le dos et retourna dans les rangs de son armée. Gabriel fit de même et évalua ses troupes du regard. Il pouvait lire la peur dans les yeux et les cœurs des cerfs. Le loup était un prédateur naturel du cerf, donc il était normal que cette bataille les effraie.
Le principal problème, c'était leur infériorité numérique. Pourtant, Gabriel était sûr que si les cerfs se battaient avec détermination, ils pourraient tenir tête aux loups et même les surpasser. Il en était certain. Les loups chassaient en meute, mais si un seul cerf et un seul loup se faisaient face, le cerf avait ses chances. Il avait pu le constater lors de sa première confrontation avec les loups, dans la forêt. Il n'avait pas eu de mal à repousser le gardien des loups.
Plus la bataille durerait, plus elle serait en faveur des cerfs : ils étaient plus endurants que les loups. S'ils parvenaient à tenir tête aux loups en situation d'infériorité numérique, la bataille pourrait être gagnée. Mais il y avait également les chevaux et les ours, ce qui compliquait considérablement la tâche. Il fallait que les cerfs soient prêts à se jeter corps et âme dans la bataille, que leur fureur puisse faire pencher la balance en leur faveur...
Pris d'une soudaine inspiration, Gabriel se tourna vers les cerfs, rassembla son courage et cria :
— Écoutez-moi ! Écoutez-moi tous ! Cerfs du bois des sept, ancêtres des cervidés et rois des forêts ! Vous avez vécu en paix durant toute votre vie et vous avez côtoyé les loups si longtemps que vous en aviez oublié qu'il était votre ennemi naturel !
Il s'interrompit et balaya ses troupes du regard.
— CervusSylbee avait instauré la paix entre les deux espèces ! Voilà maintenant que le nouveau gardien des loups veut briser cette paix et détruire l'Ordre que votre ancien gardien a créé ! Aujourd'hui, vous ne combattrez pas uniquement parce que je vous le demande ! Vous combattrez pour que les cerfs survivent !
Les cerfs se cabrèrent et un murmure d'approbation parcourut les rangs. Gabriel se retourna à nouveau vers l'armée adverse, qui allait donner l'assaut d'un instant à l'autre. Il vit Paul, le raille-gardien des ours, rejoindre Raphaël en première ligne. Les grognements des loups et des ours qui se tenaient derrière eux ressemblaient au grondement du tonnerre. À leurs pieds, des milliers de rats grouillaient sur le sol.
Soudain, un son de cor retentit autour d'eux et les premières lignes de l'armée de rebelle se mirent à courir dans leur direction. On y était enfin. Il devait renoncer à toute peur, sinon il était sûr de mourir.
— Mes frères ! s'exclama Gabriel, l'heure est venue de montrer que les cerfs n'ont peur de rien ! Les seigneurs des bois défendront leur honneur ! Vous êtes prêts ?!
— OUI ! répondirent-ils en chœur.
Gabriel hurla de toutes ses forces :
— ALORS À L'ATTAAAAAAAQUE !
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Le Gardien des Cerfs - Tomes 1 & 2
FantasyGabriel, un ado de quinze ans, découvre qu'il a un lien particulier avec les cerfs. Ses pouvoirs étranges suscitent l'intérêt d'une organisation appelée "l'Ordre des Gardiens". Mais Gabriel ne sait pas quelles sont leurs réelles intentions. Il...