Le Gardien des Cerfs - Tomes 1 & 2

Chapitre 38

Cèz bondit de douleur, mais Gabriel le maintint à terre. Le sang du faon suintait de la plaie et coulait sur le sol. Gabriel sentit la chaleur s'intensifier dans la paume de ses mains, et il resserra son emprise.

Lorsque la chaleur devint insupportable, Gabriel lâcha la patte de Cèz. Autour de lui, les cerfs s'approchèrent pour observer la blessure. Elle guérissait rapidement. Au bout de quelques minutes, elle avait complètement cicatrisé.

Des exclamations de stupeur et de joie s'élevèrent autour d'eux lorsque Cèz se redressa sur ses pattes. Dans la demi-heure qui suivit, Gabriel soigna les trente-sept autres cerfs et biches malades en apposant ses mains sur eux. Certains avaient des blessures corporelles similaires à celle de Cèz, mais d'autres souffraient de maladies qui ne pouvaient pas être décelées à première vue.

Gabriel se rendit compte qu'il arrivait à reconnaître les cerfs malades même chez ceux qui paraissaient en pleine forme. Leurs flammes étaient différentes dans sa poitrine, plus instables. Il insista donc pour guérir des cerfs qui, à priori, ne paraissaient pas malades. Lorsqu'il appliquait ses mains sur eux, la maladie les quittait instantanément, comme si le poison avait été aspiré de leur organisme.

Rapidement, un attroupement se forma autour de Gabriel, et des centaines de cerfs le regardaient faire. Gabriel se sentait euphorique : il avait le pouvoir de soigner les cerfs malades ! Finalement, peut-être qu'ils avaient réellement besoin de lui. Son rôle de gardien avait peut-être un sens.

Néanmoins, lorsqu'il eut soigné le dernier cerf, Gabriel eut le tournis. Il sentit quelque chose de chaud couler de son nez et s'essuya avec sa manche. Du sang, comme le jour où il avait lu dans les pensées de quarante cerfs d'un coup. Cela signifiait que ses forces s'épuisaient, qu'il en avait abusé. Le sol devint instable et Gabriel tituba dangereusement.

— Gabriel ! cria le père de Cèz en accourant, ça ne va pas ?!

Sa vision se brouilla, il sentit sa tête se cogner contre sol, et l'obscurité s'étendit autour de lui. Des ombres passaient devant ses yeux. Des visages aveugles, sans regards. Gabriel leur courait après mais n'arrivait pas à les attraper. Soudain, il se retrouva dans le vide, à chuter sans fin. Il hurlait à pleins poumons mais personne ne l'entendait. Il se rapprochait inexorablement du sol à une vitesse vertigineuse. Dix mètres, cinq mètres, deux mètres, un mètre.

Gabriel se réveilla en sursaut, le corps en sueur. Il se redressa vivement sur ses coudes et regarda autour de lui. Il se trouvait sur un lit de fortune dans une cabane circulaire, étroite et surpeuplée. Autour de lui, des cerfs le regardaient avec inquiétude. Il tenta de se redresser, mais une douleur lancinante lui traversa le crâne et il retomba sur ses oreillers.

— Vous avez abusé de vos pouvoirs, dit le cerf roux qui se frayait un chemin jusqu'à son lit.

Gabriel se redressa à nouveau sur ses coudes, plus lentement cette fois-ci, et adressa un regard au cerf. Il semblait moins hostile qu'auparavant mais conservait une certaine froideur.

— Je m'appelle Bel, dit celui-ci. Chef de clan et roi du Sanctuaire.

— Vous avez finalement décidé de me dire votre nom, maugréa Gabriel en se massant le crâne d'une main, il vous en aura fallu du temps.

— J'ai commis une erreur, admit Bel d'un air grave, j'ai mal réagi à votre arrivée. Mais nous n'avons pas pour habitude de recevoir des humains ; leur présence est interdite en ces lieux.

— Ça s'applique aussi à votre gardien ? grogna Gabriel. Je sais qu'en général, les cerfs n'aiment pas les humains. J'ai connu d'autres cerfs avant vous. Mais vous m'avez malgré tout amené à votre sanctuaire.