Gabriel (Chapitre 4)

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Je rattrape Marguerite par le bras et m'exclame instinctivement.

-Et ! Si tu lui fais des cadeaux pareils, comment tu veux que je parvienne à l'éduquer moi ?

Le sourire qu'elle me renvoie et la tristesse poignante que je vois alors poindre au fond de ses yeux me font perdre tous mes moyens et me retournent le cœur. J'ai envie de l'interroger, de comprendre. Mais je sais déjà qu'elle ne répondra jamais à mes questions. Ysaïne ne comprend pas bien la situation et relève de grands yeux interrogateurs vers nous.

Le marchand garde un instant le silence avant de répondre à Marguerite avec un sourire aimable.

-C'est un angora turc... Une belle bête. Deux mille euros...

Marguerite n'hésite pas une seconde et farfouille alors dans un petit sac qu'elle avait à la main et que je n'avais pas remarqué précédemment. Elle en sort un carnet de chèques et griffonne rapidement quelques chiffres et sa signature. Elle le tend au marchand avec un unique mot :

-Tenez...

Je reste trop choqué pour réagir et la regarde s'agenouiller devant ma fille sans songer à intervenir. J'entends comme à travers un brouillard sa voix lorsqu'elle prend la parole.

-Alors, petite princesse... Il est maintenant à toi ce chat, d'accord ? Fais-y bien attention, pour moi...

Ysaïne relève deux grands yeux inquiets vers moi et presque légèrement craintifs. Elle a peur que je ne sois pas d'accord et je vois ses doigts se serrer un peu plus sur la fourrure de son petit trésors.

-Garde-le, puisqu'elle te l'offre... Allez, va, tu en as de la chance... Récupère ta bestiole et sortons d'ici...

Pourtant, le sourire qui avait envahit mon visage en mettant ma main sur l'épaule de ma fille pour la rassurer disparaît lorsque je relève la tête pour fixer Marguerite. Je hausse les épaules et désigne la porte du menton.

-Sortons...

Elle acquiesce et nous quittons la petite boutique, moi avec une étrange impression de malaise que je n'arrive pas à définir.

Le soleil éclaire la rue et je retiens un clignement instinctif des yeux pour m'habituer à cette soudaine lumière opposée à l'ombre du petit magasin. Ysaïne s'éloigne de deux pas et rattrape le chat qui venait déjà de lui échapper des mains sous le regard protecteur de Marguerite. Je relève alors la tête pour dévisager celle-ci et me résous à poser la question qui me brûle les lèvres.

-Marguerite, qu'est ce qui ne va pas ? Ne part pas sans m'expliquer, je peux peut être t'aider !

Ses yeux plongent dans les miens et elle esquisse un sourire à la fois doux et chaleureux.

-Gabriel... Quand donc cesseras tu de te sentir coupable ? Tu as payé pour tes erreurs, pense à autre chose maintenant. Je ne regrette pas que nous nous soyons croisé aujourd'hui... Mais il serait préférable que nous nous séparions maintenant.

Je ne suis pas stupide mais la plupart de ses sous-entendus m'échappent. Que me cache t-elle ? Quelque chose de grave et qui la concerne directement... Je songe à sa réaction à la vue des cheveux bleus d'Ysaïne. Elle a ressentis autre chose qu'une simple tristesse alors... Mais quoi ?

-Azylis ne me le pardonnera jamais si je ne te ramène pas à la maison... Elle aimerait autant que moi te revoir...

Un instant, Marguerite semble hésiter. Ses yeux se posent alors une nouvelle fois comme malgré elle sur ma fille qui nous regarde avec intérêt, son chat dans les bras et à un mètre de nous. Mais ce n'est pas Ysaïne qu'elle dévisage avec ce petit éclair sombre dans le regard... Ce sont toujours ses maudits cheveux bleus.

Je l'attrape alors fermement par le bras comme j'en ai l'habitude et l'interroge presque violemment.

-Marguerite ! Dis moi au moins la vérité... A quoi te fais penser ma fille ?

-A...

Elle titube alors et se dégage brutalement de ma poigne. Elle s'affale contre le mur heureusement juste derrière elle et sa respiration se fait sifflante. Je découvre sous mes yeux horrifiés la réponse à ma question. Tout est arrivé si vite... Mais depuis le début de nos retrouvailles je ne peux m'empêcher de la trouver plus fragile, plus sur la défensive... Ce que je découvre ne me surprend pas : cela m'horrifie.

-Marguerite ! Elle te fait penser à... À toi ? Nooon !... Tu n'est pas ?... Tu n'es pas malade ?

Sa voix prend un accent dur tandis qu'elle se redresse péniblement en essayant de récupérer sa belle attitude impassible.

-Comprends moi bien Gabriel... Je veux ta parole, tu entends, ta parole que tu ne parleras jamais de tout ceci à personne... Et encore moins à ma famille. Oui, je suis malade. Et tu ne peux rien pour moi. Personne ne peut plus rien... Jure-moi de ne rien dire...

-On peut peut-être...

Elle se calme et appuie carrément sa tête contre le mur avant de fermer doucement les yeux et de murmurer :

-S'il te plait... Ta parole...

Je reste quelques minutes silencieux. J'en oublierai presque la présence d'Ysaïne à côté de nous. La foule des passants continue de passer, profitant de cette superbe après midi de ballade. Je sais que je n'ai pas le choix... Mais une question grave me traverse l'esprit et je demande d'une voix moi aussi de nouveau plus douce :

-Marguerite... Tu le sais depuis quand exactement ?

-Ça, ça me regarde si tu veux bien. Je t'ai déjà dit que je ferais seule ma nouvelle vie... Je te demande juste ta parole.

-Puis-je juste en parler à Azylis ? Sous le sceau du secret ?

Elle hésite quelques secondes puis acquiesce en lâchant quelques mots :

-De toute façon... Tu le lui aurait dit n'est ce pas ?

-J'aurai en tout cas refusé de jurer... Je te donne maintenant ma parole qu'aucun de nous deux n'en parlera à qui que ce soit.

-Merci. Adieu Gabriel...

-Au revoir Marguerite.

Elle hausse les épaules en voyant que j'ai sciemment évité de répondre à son adieu de manière définitive et s'éloigne de deux pas du mur avant de se mettre à marcher sur le trottoir et à s'éloigner de moi d'une démarche titubante. Je reste immobile quelques instants avant de sentir la main d'Ysaïne prendre la mienne. Marguerite tourne dans une rue et disparaît à notre vue, comme la dernière fois et aussi soudainement. Ysaïne tourne la tête vers moi, tout en faisant attention à son chat qui semble toujours chercher à lui échapper.

-Tu es triste ?

-Oui... Pour quelqu'un d'autre.

Intemporel T3 & 4Où les histoires vivent. Découvrez maintenant