Intemporel T3 & 4

Thaïs (Chapitre 197)

Je tente de m'étirer avant de me rappeler à l'ordre. Mes poignets sont toujours attachés aux accoudoirs de mon siège...

Poussant un léger soupir, je fixe mes yeux sur l'écran de bord comme j'ai pris l'habitude de le faire depuis de longs jours qui se ressemblent tous.

-Voulez-vous accéder au compte à rebours ?

-Oui agent 007. Ça m'irait assez.

Agent 007, c'est le nom de code que la voix m'a donné lorsque je lui ai demandé un nom à prononcer quand je voulais m'adresser à elle. Allez savoir d'où ça vient ! Il paraît que c'est un vieux nom contenu dans une base de données du Groenland et dont plus personne ne se soucie aujourd'hui si ce n'est les robots qui ont accès à d'énormes connaissances grâce à l'Internet. J'étouffe un léger bâillement tandis que l'écran s'actualise.

Et là, je suis bien obligée de me réveiller tout à fait et d'étouffer un grognement -ne pas crier j'en ai assez de m'endormir à tout bout de champ !- de surprise et d'espoir.

-07 ! Je ne me trompe pas ? C'est bien...

Il me semble entendre un léger sourire dans la voix qui me répond.

-Oui Thaïs. Vous avez raison. Il reste moins de quinze minutes avant l'atterrissage définitif sur Sagan...

-Ce n'est pas possible ! Je dors depuis combien de temps ?

-Seulement deux jours...

-Ah d'accord. Rappelle moi en sortant d'ici de penser à débrancher les fils qui te permettent d'agir inconsidérément sur ma pauvre personne...

-Je ne fais que suivre le règlement...

-C'est ça...!

L'arrivée sur Sagan... Et je suis encore en vie ! Bien malgré moi, j'avais quand même quelques doutes quand au fait d'arriver là bas en un seul morceau...

9 minutes 56 secondes...

-007, tu peux me montrer la vue en dehors du vaisseau s'il te plaît ?

La voix s'exécute sans mot dire et le compte à rebours disparaît de l'écran (enfin pas tout à fait il est encore en bas à droite dans un petit rectangle coloré) pour laisser voir une vue à en couper le souffle.

-Oh, mais c'est juste... Fantastique !

Pour la première fois de ma vie, je me sens intéressée par les voyages et l'aventure. Le paysage, même à travers un simple écran, ne peut que fasciner tous ceux qui posent leur regard dessus.

Une planète de couleur verte et sable semble s'approcher à une vitesse absolument terrifiante. À chaque seconde qui passe, j'ai l'impression de distinguer de nouveau détails et de sentir mon cœur battre encore un peu plus fort dans ma poitrine...

-Thaïs, je suis obligée de vous recentrer sur le compte à rebours, désolé...

C'est ridicule mais je ne peux m'empêcher d'être légèrement déçue de rater ainsi la plus intéressante partie du spectacle dont je fais intégralement partie.

Le compte à rebours envahit de nouveau l'écran.

6 minutes 48 secondes.

Je ferme les yeux et laisse tous mes plus beaux souvenirs m'envahir. Le jour où Tavena, la mère d'Aevin, a appris que nous allions nous marier par exemple.

J'étais malgré moi un peu gênée, timide, malgré le fait que je sois une adulte, mais elle m'a brusquement prise dans ses bras et serrée très fort contre elle. Je crois même qu'elle pleurait de joie en disant :

-La vie continue... La vie continue... Oh, c'est merveilleux, je suis folle de joie pour tous les deux !

Les souvenirs continuent de défiler dans ma tête mais je me force à rouvrir les yeux pour regarder le compte à rebours.

4 minutes 22 secondes.

Est-ce une impression ? Il me semble que nous avons légèrement ralentis. Je rabaisse mes paupières et un sourire grandit sur mes lèvres. Je me rappelle aussi d'Aevin et moi cherchant par tous les moyens dans les plus vieilles mémoires informatiques des détails sur ce qui avait pu arriver à Azylis et Gabriel... Nous n'avons rien trouvé mais un jour la reine nous a invité dans son salon.

-Aevin, Thaïs, Gabriel m'a contactée...

-Comment ?

-Je lui avais caché dans ses affaires un bracelet codé.

Une vieille habitude m'avait fait poser ma main sur mon poignet. J'avais demandé :

-Cela peut marcher à travers des époques différentes ?

-Une fois seulement. Après le bracelet se détruit de lui-même à cause du paradoxe temporel. Mais Gabriel a ainsi pu me faire savoir qu'ils sont mariés, Azylis et lui, et que sa femme attend un enfant...

Je reviens au présent en rouvrant brusquement les yeux, mais ils pétillent toujours de la joie que m'ont provoqués mes souvenirs. Jusqu'au moment où je sursaute en sentant un choc sourd.

J'ai également du mal à trouver ma respiration mais au bout de quelques minutes cela va mieux. Lorsque je relève les yeux sur l'écran, mon cœur fait un bond dans ma poitrine.

-07 ? C'est bien la fin du voyage ?

-Oui Thaïs. Les wagons devraient s'ouvrir comme pour les entraînements un par un...

-Je ne peux pas voir à quoi ressemble l'extérieur ?

-Non, c'est interdit.

Je renonce à demander pourquoi et tente de me calmer sans y parvenir. Cela fait un mois que je ne vois Aevin, Gaëtan, Kim et Yves que quelques minutes par jour où nous avons l'autorisation de circuler un peu dans les couloirs.

Enfin, je vais pouvoir retrouver mon mari et l'avoir un peu plus à mes côtés... Je pousse un léger soupir et renonce à fermer une fois de plus les yeux.

Je suis sur Sagan. Sur cette autre planète dont on ignore tout. J'ai du mal à intégrer cette idée et je ne peux m'empêcher de la retourner dans ma tête sans parvenir à la rendre plus réelle.

-Thaïs ?

-Oui ?

-C'était presque un plaisir de faire le voyage avec vous.

Un demi sourire un peu ironique aux lèvres je demande :

-Dans la formule de politesse obligatoire, le "presque" n'est pas compris non ?

-Peut-être mais vous n'avez aucun moyen de le vérifier pour le moment.

Je ne réponds rien et pose une énième fois mon regard sur l'écran ou ne brille plus que quelques chiffres. Le compte à rebours est immobile...

Une voix tout autre que celle avec qui je parle depuis un mois résonne alors dans mon petit espace personnel.

-Mesdames et messieurs, veuillez vous préparer à l'ouverture dans quelques minutes des portes intérieures et extérieures, je répète...

Je n'écoute plus la suite. Dans un grincement légèrement sinistre, toutes les portes s'ouvrent d'un coup. La mienne également et pour la première fois depuis plus de trente jours je sens sur ma joue la caresse d'un vent chaud.

La main sur l'encadrement de la porte de mon espace personnel, déjà prête à me ruer dehors, je jette un nouveau coup d'œil en arrière. Les chiffres immobiles brillent toujours sur l'écran.

00 jours 00 minutes 00 secondes
ARRIVÉE SUR SAGAN.

FIN
(Du second tome)