Thaïs (Chapitre 194)

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Un grand bruit résonne autour de nous. Comme un gigantesque tambour. Je fixe avec des yeux terrorisés l'écran qui clignote devant moi. "Départ". 

Je serre alors très fort mes mains sur les deux accoudoirs et mes doigts semblent blanchir aux jointures. Un bref instant, la panique m'envahit entièrement avant que je ne parvienne à me ressaisir. Ce n'est qu'un voyage...

Lentement, toute l'énorme masse métallique du vaisseau se met en marche et je ne peux m'empêcher d'avoir l'impression de glisser en avant sans pouvoir réussir à freiner une chute fatale.

J'entends quelques cris mais je me force à rester lèvres clauses : pas question que l'appareil estime que je suis trop anxieuse et ne m'injecte automatiquement une dose de somnifères.

Au fond de moi, je ne veux pas rater le spectacle...

Sur l'écran, je peux maintenant visualisé le grand mur ouvert. De l'autre côté, j'aperçois ce qui ressemble à des rails gigantesque s'avançant sur plusieurs mètres dans le ciel et en apparence uniquement soutenus par de grandes barres de soutien accolées à la façade de la tour.

L'énorme masse commence à prendre de la vitesse et il me semble même apercevoir sur l'écran quelques étincelles au niveau des patins. Mais sans doute rien de grave car la vitesse s'accélère encore et je me retrouve le souffle bloqué avant de respirer par saccades, collée par la pression à mon dossier.

Pas de doute, j'ai eu tord de ne pas simuler le fait que j'étais claustrophobe. Trop tard pour les regrets.

Sur l'écran, le vaisseau semble jaillir brusquement à l'air libre et je ne peux m'empêcher de fermer les yeux comme pour m'imaginer que tout cela n'est qu'un mauvais rêve. Mon estomac semble faire des bonds et je résiste de nouveau à l'envie de pousser un cri en ouvrant de nouveau les paupières.

Est-ce une impression ? Maintenant que nous sommes en dehors de la salle, il me semble entendre une gigantesque clameur. Je repense à la manifestation, à Ysaïne, à Azylis... Et même à Gabriel. Comment pourrions-nous seulement l'oublier ?

Il me semble alors que je quitte tout ce que je connais, et, lorsque j'observe les premières parties du vaisseau se décoller lentement des rails pour s'élever vers le ciel sur l'écran, cette impression ne peut que s'intensifier.

À cet instant, je donnerai tout ce que je possède pour me retrouver aux côtés d'Aevin. Mais il est dans un autre espace personnel évidemment, et il me semble brusquement terriblement loin.

Ma vie n'est décidément qu'une longue suite d'imprévus... Je pousse un très léger soupir et me détends un peu.

Le vaisseau a maintenant tout à fait quitté les rails gigantesque et nous avançons à une vitesse que je n'arrive pas à lire à droite de l'écran parce qu'un voile semble me brouiller la vue.

J'ai mal à la tête, terriblement, mais je n'ai plus cette horrible sensation d'écrasement. Et cette souffrance disparaît aussi vite qu'elle est apparue : je ne ressens déjà plus rien de précis.

Si j'en crois l'écran, nous ne sommes déjà plus dans le ciel que je connais, celui que je ne peux m'empêcher de trouver rassurant : bleu avec de léger nuages.

Nous sommes déjà dans une nuit sombre et je ne peux m'empêcher de regarder avec fascination l'image de synthèse qui me retransmet une vision imagée de notre vaisseau et de l'espace. La longue chenille de wagons avance en ligne droite, a une vitesse défiant toute concurrence et sans jamais changer sa route. De temps en temps, elle se tourne légèrement et les wagons semblent alors se heurter mais je ne ressens rien.

À vrai dire, s'il n'y avait pas cet angoissant silence et ces images, j'aurai l'impression de faire du sur-place, de ne pas bouger. Et cela même en soi me fascine.

J'entends alors dans l'appareil un bruit soudain. Un léger cri puis de nouveau le silence. Qui a crié ? J'ai cru reconnaître la voix de Kim mais je n'ai absolument aucune certitude.

Je secoue la tête, me calme au fond de mon siège avant de fixer de nouveau mes yeux sur la seule chose que je suis capable de voir et digne d'un minimum d'intérêt : l'écran.

Je me redresse alors brusquement, oubliant les sangles qui m'immobilisent contre le dossier et murmure :

-Mais ce sont des...

Des météorites. Cette constatation me glace d'effroi mais je ne peux que constater qu'une autre partie de moi n'arrive toujours pas à croire que je puisse être en destination de Sagan.

Néanmoins, les pierres sur l'écran me semblent affreusement réelles et je ne peux m'empêcher de me recroqueviller dans l'attente du choc inévitable.

Mais au lieu de cela, l'appareil se cambre soudain et une partie des wagons se soulève dont le nôtre. Si je n'étais pas retenue à mon dossier je serais sûrement tombée, et je ne peux m'empêcher de pousser un cri de surprise mêlée d'un minimum de peur, je dois bien l'avouer. Ou est ma tasse de chocolat et mon aventure tranquille à vivre au fond d'un fauteuil avec un livre à la main ?

-Ahhh...

La voix de l'écran s'élève aussitôt et demande avec une fausse inquiétude :

-Souhaitez vous une injection de somnifères ? Votre courbe de tension vient de brusquement augmenter et...

Je secoue la tête avant de me rappeler que la "voix" ne peut pas me voir. Je murmure :

-Non merci, sans façon.

-Ce serait mieux pourtant.

-Je te dis que je vais très bien.

-Ce n'est pas ce qu'affirme vos graphiques.

-Stupide ordinateur.

-Humaine enfantine.

Qui m'a fichu une voix pareille ? Je lève les yeux au ciel -enfin au plafond en l'occurrence- et demande avec un brin d'ironie :

-Insulter les humains ça fait partie de ton rôle ?

-Vous pouvez m'ordonner de me taire.

L'espace de deux minutes, j'hésite franchement. Mais c'est au tour de la voix de prendre un accent ironique.

-... Mais, vu la longueur de votre voyage, je ne le vous conseille pas. Un mois sans discuter c'est un peu dur, vous ne trouvez pas ?

Aïe. Ce satané ordinateur vient de trouver mon point faible. Furieuse contre moi-même et la terre entière, je tente de croiser les bras sur ma poitrine sans y parvenir. Avec des sangles à chacun de mes poignets, c'est plutôt difficile... Je peste à haute et intelligible voix et mon seul interlocuteur rétorque à ces superbes paroles :

-Ça y est ! Vous avez dépassé le stade critique, je suis obligée de vous administrer un somnifère...

-Non, attends je...

Un liquide vert pâle circule dans un fin tuyau puis passe dans la seringue puis dans mon bras.

Je perds presque immédiatement connaissance, non sans avoir remarqué au passage que la voix était elle très contente de se "débarrasser" de moi pour un moment...

Maudite mécanique. Et dire que le voyage va durer un mois.

Intemporel T3 & 4Où les histoires vivent. Découvrez maintenant