Intemporel T3 & 4

Azylis (Chapitre 92)

Aevin et moi sommes installés dans un aéronef qui survole la capitale. Je me tourne vers mon compagnon de route pour lui demander :

-Qu'est-ce que Cigarette est devenu ? On ne voit plus trop ton dragon avec toi...

Aevin pousse un léger soupir dramatique avant de sourire de nouveau malicieusement.

-Jusqu'à présent c'était ma mère qui le gardait. Mais je crois que, comme Hedwige qui gardait Bir-Hakeim, elle en a eu un peu assez des bêtises de mon animal. Alors elle me l'a renvoyé il y a peu et il m'est en ce moment plutôt utile...

Je regarde un arbre au tronc noueux que nous dépassons avant de froncer les sourcils.

-Excuses-moi mais j'ai du mal à imaginer Cigarette en dragon utile... Qu'est ce que tu en fais ?

Le visage d'Aevin devient tout à coup grave.

-Tu te rappelles des gens que nous avons évacués hier en aéronef ?

-Je ne suis pas encore un poisson rouge donc oui... Quel est le rapport ?

-Gaëtan a réussi à sauver ainsi une petite asiatique de six ans. Mais personne n'est venue la réclamer et nous pensons que ses parents sont morts dans l'explosion... La petite nous reste pour le moment sur les bras et nous ne savons qu'en faire. Mais elle est fasciné par Cigarette qui d'ailleurs l'adore lui aussi et ils ne se quittent plus...

-J'espère qu'on va retrouver sa famille...

Aevin hausse les épaules avec fatalité.

-Si on ne la retrouve pas, Gaëtan va devoir s'improviser père de famille...

Il fait une légère pause et son sourire revient tout à coup.

-... J'avoue que j'attends avec impatience de voir ça.

L'aéronef tourne alors et je remarque que nous sommes arrivés à la frontière entre la ville et la forêt. Selon mes souvenirs, le centre des dragons doit se trouver quelque part en dessous de nous... J'ai sans doute raison car l'aéronef commence à entamer une longue descente au ras des arbres.

Mon coeur se serre en songeant à Dynamite et mon sourire se fane sur mon visage. Aevin me regarde et dis doucement :

-Ecoutes, j'ai appris ce qui s'était passé pour Dynamite. Ne voudrais tu pas choisir un autre dragon ? Je ne prétends pas que cela pourra le remplacer. Mais il ne faut pas rester arrêtée sur une image comme tu es en train de le faire. Dynamite ne reviendra pas...

Je secoue la tête et essuie une larme. Je me force à sourire pour répondre.

-Je sais. Tu as peut-être raison après tout... Je ferais un effort pour regarder les dragons là-bas...

-J'espère vraiment que tu en trouveras un. Je ferais tout pour réussir à te l'acheter.

Je ne réponds rien et l'aéronef ne tarde pas à s'arrêter à côté d'une grande arcade de pierres. Une fois qu'il est totalement stabilisé à quelques centimètres du sol, je sors de l'appareil et suis Aevin qui avance déjà d'un bon pas.

Il ne se dirige pas comme la première fois où j'étais venue avec lui ici vers le centre d'accueil des touristes mais directement vers les bâtiments plus loin.

Au fur et à mesure que je marche dans les grandes allées sablées, je ne peux m'empêcher de dire :

-On dirait une gigantesque écurie...

Aevin s'amuse de ma remarque et réponds après un "bonjour" tonitruant a un employé que nous rencontrons en chemin.

-C'est un peu le principe en effet. Des rangées de box pour les dragons... Mais ici il n'y a de bois nulle part et tout est en pierres... Et beaucoup plus grand !

-Ça, ce n'est pas moi qui dirait le contraire...

Je lève la tête et constate alors que nous nous dirigeons vers un petit bâtiment dont Aevin ne tarde pas à pousser la porte comme s'il était chez lui. C'est un bureau avec deux secrétaires et un homme occupé à travailler derrière un bureau encombré d'un nombre effarant de choses complètements inutiles.

Malgré les nombreuses années qui ont passées, je le reconnais sans problème. À mon arrivée ici, l'élevage de dragon et son propriétaire m'avaient marqué suffisamment pour que je m'en souvienne parfaitement.

L'homme redresse alors la tête et sursaute en nous voyant tous les deux pénétrer chez lui.

Il adresse un geste aux deux secrétaires qui semblent tout de suite comprendre et nous laissent seuls avec le propriétaire. Il éclate alors d'un rire joyeux et s'approche d'Aevin pour le serrer dans ses bras costauds. Je recule prudemment mais n'échappe pas à cette étreinte amicale.

Il recule ensuite de deux pas, nous laissant légèrement essoufflé car il nous a coupé la respiration et s'exclame :

-Aevin ! Et la gagnante qui a fait prospérer mes affaires ! Que me vaut l'immense honneur de votre visite ?

Aevin, avec un léger sourire, s'approche du bureau pour désigner une figurine d'un superbe dragon.

-C'est ça qui nous amène. Tes dragons. Nous aimerions t'en acheter plusieurs.

Le visage déjà jovial du patron s'agrandit un peu plus d'un nouveau sourire. Il tape amicalement dans le dos d'Aevin qui manque de tomber à terre. Les affaires doivent avoir sacrément prospéré... Car il n'était pas aussi direct quand je l'ai croisé pour la première fois !

-Vous voulez acheter plusieurs de nos produits ? Mais il n'y a aucun problème !

Il se penche sur le fatras de son bureau et en jette une bonne partie sur le plancher, ce qui ne manque pas de me faire sursauter. Il sort enfin un gros classeur qu'il tend à Aevin.

Tandis qu'il tourne les pages une à une, je découvre des dizaines de photos de "modèles" de dragons différents.

Mais Aevin referme brusquement le classeur et le repose en équilibre précaire dans un coin disponible sur une chaise à portée de main.

-Il faut que je te parle d'un problème avant. Nous souhaitons payer comptant... Et que tu ne laisses nulle part de trace de ce marché.

Le visage si jovial du propriétaire prend en moins d'une seconde une mimique prudente et pleine de méfiance.

-En somme... Tu me demandes de te les vendre illégalement ?

-Nous ne pouvons pas nous permettre que l'on puisse savoir que nous en avons acheté. C'est trop dangereux.

Avant même que l'homme ne reprenne la parole, je devine le cœur serré qu'il va refuser. J'ai hélas raison.

-Ecoutes Aevin... Je veux bien faire beaucoup de choses pour toi mais pas ça. Je suis riche, l'affaire marche bien, je n'ai aucune envie de risquer tout ça dans une entreprise hasardeuse... Et tu sais très bien ce que la reine fait aux marchands qui manquent d'honnêteté.

Je devine la déception d'Aevin. Et l'injure qu'il retient difficilement. Mon visage à moi aussi s'est fermé d'ailleurs. Je finis calmement la conversation.

-En somme, vous êtes un lâche.

J'entraîne Aevin par le bras pour revenir vers la porte que nous venons de franchir.

-Viens, on a plus rien à faire ici. Allons voir ailleurs.

Mais Aevin me suit avec un léger sourire cynique aux lèvres.

-Quel dommage ! Nous étions prêts à les payer au double de leur prix initial !

Derrière nous, le propriétaire ne retient pas une exclamation.

-Attendez ! On peut peut-être s'arranger !