Azylis (Chapitre 149)

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-Qu'attendez-vous de moi exactement ?

Je dévisage un à un tous les visages présents dans la salle devant moi. Un siège est libre en bout de la table et je m'y dirige sans réfléchir.

Lorsque je m'assois, quelque chose au fond de moi m'oblige à parler et je demande d'une voix presque ferme après un léger "bonjour" adressé à la cantonade.

-Pourquoi êtes-vous venus me trouver ?

Acalin se détache d'un groupe et s'approche de moi. Sa forte carrure rassurante n'a aucun effet sur moi et je me sens toujours dans ce drôle d'état proche de l'hébétude.

-Parce que tu es la femme de Gabriel, Azylis. Dans un système juste, tu serais la régente.

Il me tutoie... Je ne relève pas et me contente de dire :

-Mais encore ?

Après un bref coup d'œil aux visages qui nous entourent, il me répond calmement :

-Nous voulons que tu prennes la direction de la Résistance. A la place du prince.

A la place du prince. C'est vrai, il n'est plus là. Mes doigts s'agripppent à la table de toutes leurs forces et je réussis à répondre d'une voix à peu près neutre :

-Et que m'offrez-vous en échange ?

Acalin paraît un instant déstabilisé. J'ai toujours été loyale, forte, suivant toujours mes idéaux. Et voilà que je demande soudain une contrepartie... mais il devine avec une illumination.

-J'allais y venir princesse...

Je n'aime pas ce titre sur moi. Il me rappelle Edilyn... mais une voix au fond de mon âme murmure qu'au contraire, Gabriel aurait adoré que je sois reconnue comme appartenant à la famille royale. Thaïs prend la parole avant Acalin après un léger coup d'œil à Aevin. Je n'avais même pas remarqué leur présence dans la pièce...

-Écoutes Azylis. Tous les gens qui sont ici, Gabriel leur faisait confiance...

À sa sœur aussi. Mais je garde un prudent silence. Je ne dois pas laisser la haine me détruire le cœur... facile de le penser mais difficile de le mettre en pratique. Thaïs continue en plongeant ses yeux dans les miens :

-Si tu nous aides, nous pourrons retrouver ta fille. Ysaïne ou la princesse héritière...

Je ne réponds rien puis me décide brusquement sans réfléchir. Impulsive, comme toujours...

-Je vais vous aider, tous. Vous faire confiance aussi. J'espère que ça mènera à quelque chose...

Un murmure parcourt l'assistance tandis que je baisse les yeux vers une veinure du verre. Lorsque je relève les yeux, le silence se fait aussitôt dans la pièce.

-Ma fille ne possède qu'un caractère particulier... Elle a environ six ans et possède des cheveux naturellement bleus.

Aevin me regarde avec surprise avant d'esquisser un léger sourire. Il me demande :

-Elle a été soignée tardivement ?

-C'est ça. Et si elle n'a gardé aucune séquelle de cet incident, ses cheveux restent d'un bleu marine assez original...

J'échange un coup d'œil avec Acalin. Il est l'un des rares ici dans cette pièce à comprendre ce que je peux ressentir en ayant perdu Gabriel. N'a-t-il pas vu mourir pratiquement sous ses yeux sa fille unique ?

Je repense avec un léger pincement au cœur à Edmée. Jolie, impulsive et désordonnée. Elle me ressemblait au fond...

Je ferme les yeux et reprends la parole calmement ou presque. Le silence se fait aussitôt.

-Comment comptez vous vous y prendre pour chercher Ysaïne ?

Un homme aux cheveux roux se détache de la petite foule massée autour de la grande table et me répond d'une voix terriblement rauque :

-Une enfant aux cheveux bleus cela ne court pas les rues... Nous confierons le secret à des personnes sûres et tout le monde la cherchera...

Je pousse un très léger soupir. Ce plan comporte bien des défauts, à commencer par celui qu'Edilyn saura tôt ou tard ce détail qui permet de reconnaître ma petite princesse, mais je ne vois pas d'autre solution.

-Très bien, alors je crois que nous pouvons nous séparer pour aujourd'hui. Pourrais-je tous vous revoir dans la semaine ? Lundi prochain ?

Ils acquiescent en silence, la plupart conscient de mon trouble et de ma peine, et je m'empresse de tourner les talons et de quitter la pièce. Ils discuteront sûrement dans mon dos, mais je fais confiance à Thaïs et Aevin pour gérer la situation.

Je cours presque dans les couloirs pour tenter de me calmer et de cesser de pleurer lorsque j'entends un pas derrière moi. Je me retourne, furieuse, et mes yeux se posent sur le visage pâle de Christian. À part nous, l'endroit est désert.

-Mais enfin qu'est-ce-que tu veux ? Je ne me tuerai pas alors arrêtes de me suivre !

-Azylis...

-Non, j'en ai assez, vraiment et...

-Maly t'attend en bas avec tes dragons dans le parc.

Je m'arrête net dans mon discours et ma colère. Quelque part au fond de moi s'allume une brève lueur de joie.

-Maly...

Inconsciemment, le fait que personne ne sache où elle était m'inquiétait beaucoup même si je refusais d'y réfléchir. Pas question de pleurer encore pour quelqu'un d'autre alors qu'il n'y avait peut-être aucune raison.

Je tourne les talons et me mets à courir en plantant là Christian dont je vois les yeux s'enflammer de colère. Mais qu'importe !

Quelques minutes plus tard, je suis dans les jardins et j'arrive à l'endroit où on tendance à s'installer Rebelle et Satan. Le seul espace dégagé assez grand pour qu'ils puissent s'installer...

Les deux immenses animaux aux écailles bleutés m'attendent en effet et je pousse un léger cri de joie en apercevant debout devant eux mon petit robot préféré.

-Maly...!

Pendant quelques secondes, j'ai l'impression de tout oublier et je la sers dans mes bras comme si elle était une humaine.

-Ou étais-tu ? Tu m'as fait tellement peur tu sais...

Je me détache d'elle et ma tristesse revient aussitôt me serrer la gorge. Ce qui ne m'empêche pas de voir Maly se retourner avec un léger sourire et pousser un petit sifflement entre ses dents.

Un gamin de huit ans (en tout cas d'apparence) arrive alors -il était à côté de Rebelle auparavant et je ne l'avais pas remarqué- tandis que Maly me le présente avec le plus grand sérieux.

-Azylis, je te présente Vincent. C'est la dernière création pour le palais et je suis allée le chercher quand j'ai su que la moitié des robots allaient aller à la casse... Je sais, ce n'était pas le moment mais... On s'entend très bien tous les deux.

Je dévisage le petit garçon aux cheveux blonds et la peau vert clair. Mais je ne peux m'empêcher de demander :

-Envoyer à la casse ? Mais les autres ?

Maly baisse la tête après un léger coup d'œil à Vincent.

-Je n'ai pas pu les sauver.

La voix de Rebelle résonne dans ma tête tandis que je tente de penser correctement en observant le regard étrangement lucide du second robot.

-Tu le sais petite humaine. Les robots ici sont considérés comme des "créations". Comme nous. Alors si on veut les détruire...

Je suis certaine maintenant de vouloir me battre. Mes vieilles idées de naguère envahissent de nouveau mon esprit et je ne peux m'empêcher de songer avec force en observant toujours le garçon à la peau verte :

"Je changerai le monde. Ce monde-ci."

Intemporel T3 & 4Où les histoires vivent. Découvrez maintenant