Gabriel (Chapitre 115)

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La tour s'est transformée en une gigantesque fourmilière. À vrai dire, les premières rumeurs concernant l'incendie circulaient déjà mais nous avons agit pile au bon moment. Personne n'a encore complètement paniqué.

Je rejoins Thaïs qui supervise les départ de l'étage quatre-cent-dix-neuf.

-Ça va ? Aucun problème de ton côté ?

-Rien à part le fait qu'il commence à faire horriblement chaud...

-Il n'y a plus d'électricité et la clim est coupée du coup. Les aéronefs auront une autonomie suffisante ? Ils pourront se passer des routes ?

-Oui. Pendant au moins deux heures ce qui nous laissera largement le temps de nous éloigner. Mais, Gabriel, tu ne crois quand même pas vraiment que l'incendie va atteindre toute la ville ?

Terriblement sombre, je me contente de répondre d'une voix neutre.

Oh si... Regarde les flammes. Rien ne pourra arrêter ça et tout le monde est en train de paniquer. Ce que je ne comprends pas c'est comment on a pu laisser se développer un feu pareil...

-Ça ressemble à quelque chose d'intentionnel...

-Mais Edilyn n'a aucun intérêt à faire ça.

-Je sais. Et c'est bien ce qui m'inquiète.

J'entends alors une voix qui m'interpelle :

-Prince Gabriel ?

Je me retourne vers Eric qui s'approche lentement. Je ne vais pas l'emprisonner dans le bazars ambiant et je lui ai ordonné de me suivre. Mais je réalise tout à coup, en même temps que je vois ses yeux s'agrandir de surprise lorsqu'ils les posent sur Thaïs... Bien sûr ! Ils sont frère et soeur... Dans la folie de ces dernières heures, j'ai totalement oublié ce détail. Eric s'avance avec une légère hésitation.

-Thaïs, c'est toi ? C'est bien toi ?

Elle tourne les yeux et fronce lentement les sourcils. Je souris intérieurement au milieu de la peur qu'éprouvent tous ceux de l'étage. Eric n'était qu'un gamin  malade de six ou huit ans quand Thaïs l'a perdu de vue. Quel rapport avec l'adolescent d'aujourd'hui plein de vie et de santé ? Mais tandis qu'elle tente de reconnaître ses traits, un lent sourire incertain monte sur ses lèvres.

-Eric ?

Il se jette alors dans ses bras en guise de réponse. Elle le serre contre elle avec un sourire de joie. Moi, je ne vois dans ses retrouvailles qu'une solution à mon problème.

-Ok. Alors Thaïs, je te demande de veiller sur ton frère... Ne vous quittez pas ok ?

Ils ne me répondent pas mais je ne garde aucune inquiétude sur le sujet. Vu la joie des retrouvailles qui brille dans leurs yeux, ils ne risquent pas de se quitter de si tôt.

Je m'éloigne aussitôt et descends encore d'un étage. Je suis rapidement rassuré, l'évacuation à l'air de parfaitement fonctionner. Je me dirige ensuite vers une plateforme de téléportation, songeant qu'il est heureux qu'elle ne fonctionne pas à l'électricité mais à des courants magnétiques indépendants, et me retrouve à l'étage des dragons quelques minutes plus tard.

Azylis semble avoir donné des ordres stricts car un cavalier se trouve près de chaque dragon et ils sont tous prêts au départ.

Une jeune fille aux cheveux bruns remplace Thaïs qui a préféré rester en haut et j'aperçois une fillette aux yeux bridés à côté de Gaëtan. À côté d'elle virevolte Cigarette et elle éclate de rire chaque fois qu'il fait mine de lui mordiller le nez.

Je rejoins Gaëtan avec un léger sourire à l'intention de l'enfant. Azylis m'en a parlé... Cette gamine que personne n'a réclamé après le sauvetage des ruines de la tour Astase. Elle risque d'affronter maintenant de nouveaux dangers. Je la désigne du doigt et demande :

-Tu la prends sur ton dragon ?

Gaëtan hoche la tête avec un léger soupir.

-Oui, je ne voulais pas la laisser ici et, surtout, l'abandonner au milieu de la pagaille générale.

Rassuré, j'acquiesce et tourne les talons pour rejoindre les deux box du fond. Azylis est à côté d'un de ses combattants et ils fixent tous les deux avec un regard anxieux la plateforme toujours désespérément inutile. Je pose la question tout en connaissant déjà malheureusement la réponse :

-Ton autre bestiole et Maly ne sont pas encore rentrés ?

Azylis me lance un coup d'œil inquiet et me réponds aussitôt.

-Non ! J'espère qu'il ne leur est rien arrivé... Normalement, s'ils restent dans le ciel et ne se posent pas...

-Il reste une chance. On ne va pas désespérer tout de suite... Maly possède une chance formidable. Elle échappe à à peu près tous les dangers.

Azylis grimace un sourire.

-Comme nous alors. Il y a toujours l'un de nous deux avec elle quand elle est dans les ennuis...

Avec une parfaite mauvaise foi, je réponds avec un sourire :

-Pas toujours la preuve... Et puis, toi, tu les cherches les ennuis. Moi, ils me tombent dessus.

Elle me jette un coup d'œil franchement amusé et je souris un peu plus. J'ai réussi à la faire rire. Elle me répond avec ironie.

-C'est ça fais ton petit innocent... En attendant, tu comptes partir comment pour le plan d'évacuation ?

Je grimace, devinant tout de suite où elle veut en venir.

-Il manquait une place là-haut alors j'ai laissé la mienne... Mais ne te sens surtout pas obligé de m'accueillir sur ton dragon, je pense que je ferai tout aussi bien d'aller voir Aevin...

Tandis qu'Azylis se mord la lèvre pour ne pas rire, j'entends un grondement sourd et le dragon au dessus de ma tête abaisse la sienne à mon niveau. Ses yeux de reptile sauvage me dévisagent quelques secondes avant que je n'entende une voix doucereuse dans ma tête.

-On a peur chef de clan ?

Je suis plus surpris par l'appellation que par la voix. Je ne peux m'empêcher de m'exclamer avec incrédulité en regardant Azylis :

-Chef de clan ! Tu peux m'expliquer pourquoi ta bestiole m'appelle comme ça ?

-Tu as de la chance. Toi c'est plutôt positif. Moi, aux dernières nouvelles, c'est petite humaine...

-Je vois... Cet engin maléfique ignore tout de l'usage des prénoms...

Je poursuis la conversation en esprit en m'adressant directement à l'animal :

-Bon eh bien moi, je t'appelle citron-vert à partir de maintenant...

Il me crache un nuage de fumée à la figure qui manque de m'étouffer avant de dire d'un ton infiniment supérieur :

-C'est d'un manque d'originalité...

Vexé, je rétorque aussitôt.

-Pas du tout. Je peux varier si tu veux... Que dirais-tu de vert-citron ?

Mais il se contente de m'envoyer un nouveau nuage de fumée à la figure et je me mets à toussoter d'une manière tout sauf avantageuse. Décidément, je n'aime pas les dragons.

Les premiers étages doivent déjà avoir terminés l'évacuation. Pour conserver un certain ordre, nous faisons étage par étage, en partant du haut. J'ai encore quelques minutes pour m'habituer à l'idée que, à tous les coups et malgré tout ce que je vais tenter de faire, je vais me retrouver perché sur le dos du combattant.

Mais mes pensées redeviennent aussitôt inquiètes. Si je me fiche de l'autre dragon comme d'une guigne, je tiens en revanche beaucoup à Maly depuis tout ce temps où je la côtoie. Pourvu qu'elle revienne.

Intemporel T3 & 4Où les histoires vivent. Découvrez maintenant