Ysaïne (Chapitre 181)

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-Aaa... Tchoum !...

J'ai peur. Je me resserre contre Papa et ma main se crispe sur mon doudou. Il fait très froid. Et il commence à pleuvoir.

-Maman on peut rentrer ?

Elle me lance un regard et remet derrière mon oreille une mèche de cheveux trempée. Elle retire son écharpe et me la met autour du cou avec un sourire.

-Chérie, Papa tenait vraiment à ce que nous venions... Encore un petit effort.

Papa me serre la main un peu plus fort et j'essaie de me retenir de pousser un petit cri. Il me fait un peu mal. Il regarde toutes les trois minutes mon petit sac rouge.

Il se penche vers moi et murmure :

-N'oublie pas Ysa... On t'aime beaucoup d'accord ?

Je retiens ma nouvelle envie de pleurer. Pourquoi est-ce-qu'il me répète ça depuis ce matin ? J'ai tellement froid... Il y a des gâteaux dans le sac de Maman. Mais je n'ose pas demander d'en prendre.

-On avance ?

Papa me sourit mais je remarque ses yeux fatigués.

-On ne peut pas chérie, il y a trop de monde. On est immobile pour le moment... Mais ne t'inquiète pas. On rentrera bientôt à la maison et on prendra une tasse de chocolat et...

Il s'arrête tout à coup net et se rembrunit davantage. Il passe son doigt sur ma joue et murmure :

-Oublie ce que je viens de dire Ysa. Mais ne t'inquiète pas.

Je lève le nez pour tenter de voir à travers le rideau de pluie qui semble s'abattre sur nous. Il y a une vieille dame devant moi. Elle me regarde et je me serre encore un peu plus contre Papa.

Elle a des cheveux noirs frisés et un grand bandeau vert sur la tête. Elle esquisse un sourire et je remarque qu'il lui manque quelques dents.

Je tourne précipitamment la tête à gauche pour apercevoir un grand garçon. Il est tout maigre, comme un clou, c'est ce que dit toujours Papa lorsqu'il voit des gens comme ça. Et puis, il y a une dame avec un petit bébé dans les bras. Elle pleure... Pourquoi ? Parce que comme me l'a dit Maman on aimait tous le prince ?

-Maman, c'est quoi déjà un prince ?

Elle pâlit en me regardant et semble appeler Papa au secours. Mais il ne nous écoute pas et fronce ses gros sourcils, ça veut dire qu'il est contrarié.

-Chérie, on... on en a déjà parlé. C'est quelqu'un qui dirige un pays à la mort du roi et de la reine.

Je ne demande pas ce qu'est un roi ou une reine. Elle me l'a déjà dit aussi, mais je ne m'en souviens plus. C'est ma vie d'avant... Celle que je me suis inventée d'après Maman. Elle n'aime pas quand je parle de l'autre dame, celle qui s'efface chaque jour dans ma tête. Et le monsieur. Celui qui avait sur la joue un gros trait.

Maman dit que ça se dit comment déjà ? Une cicatrice. C'est ça. L'autre Papa avait une cicatrice. Mais mon Papa normal dit à Maman :

-Nora, je ne le sens pas... La foule est trop inquiète, nous sommes trop nombreux, je...

-C'est toi qui voulait venir et de toute façon... On est coincé maintenant.

-Oui tu as raison mais...

Les gens autour de nous se mettent alors à crier. Mais pas comme quand j'ai peur du noir la nuit. Non, en regardant le ciel et avec un sourire.

Je lève de nouveau le nez en l'air et ouvre la bouche pour attraper quelques gouttes d'eau. Maman n'aime pas quand je fais ça, mais moi j'adore jouer à ça. Et de toute façon, pour le moment, elle ne me regarde pas.

Une ombre puis une deuxième passe au dessus de nous et je demande à Papa :

-C'est quoi ça ?

-Deux dragons chérie. Et... la princesse.

Maman se retourne brusquement et lance un regard furieux à Papa.

-Pourquoi tu parles d'elle comme ça ? On est d'accord n'est-ce-pas ?

-Oui Nora. Ysa n'a rien à voir avec elle.

Quand Papa ment, il passe sa main dans ses cheveux. J'ai remarqué ça à Noël quand il me disait qu'il n'y avait pas de cadeau pour moi pour m'inquiéter. Et là, c'est exactement ça. Il passe la main dans ses cheveux. Il veut inquiéter Maman ?

Mais elle paraît au contraire rassurée et Papa resserre une nouvelle fois sa main sur la mienne.

Les gens crient autour de nous. Ils agitent de grandes pancartes et je les entends dire sous la pluie :

-Libération des prisonniers !

-Longue vie à la princesse et à la reine Azylis !

-À bas Edilyn !

Je ne comprends rien à tous ces cris mais je me rends compte d'une chose qui me fait rire : on s'est mis à marcher. Papa se détend un peu et Maman me donne un petit biscuit.

Je joue dans les flaques d'eau mais ne peut pas beaucoup m'éloigner : la foule m'en empêche et Papa revient toujours me chercher avec de grands yeux.

-On va vers ou Maman ?

Elle pâlit en disant :

-Le... le palais chérie.

Nous marchons tous les trois en silence, pendant que les autres crient autour de nous. J'entends même des mots dans de grands hauts parleurs. Il paraît qu'Azylis -la dame que Papa veut que j'aille voir ?- nous parle et les gens sont tous d'accord avec elle et ils crient encore plus fort.

Moi, je suis entre Papa et Maman et ils me tiennent tous les deux une des mains. Je saute par dessus une flaque d'eau et j'oublie les gouttes qui tombent sur mes cheveux et mon visage pour éclater de rire.

Je dresse alors l'oreille en entendant un mot dans un des micros. Mais je ne comprends pas tout.

"Je vous en prie, je vous en supplie, si l'un de vous sait aujourd'hui ou est ma fille... Je m'adresse tout particulièrement aux deux parents qui l'ont recueillie. Autant vous le dire aujourd'hui : son signe distinctif qui permet de la reconnaître est qu'elle possède des cheveux naturellement bleus... Rendez-moi mon enfant. Si vous l'aimez comme je le pense, vous devez souhaiter comme moi son bonheur..."

Hop, encore une flaque d'eau. Moi, j'ai des cheveux tout bleus aussi, mais c'est un secret. Maman me les transforme en noir tous les deux jours, et c'est très joli aussi...

"Elle s'appelle Ysaïne... Je vous en prie. Pour moi mais aussi pour votre pays..."

Moi je m'appelle Ysa. C'est plus joli. La main de Papa me serre très fort. Mais c'est celle de Maman qui me fait le plus mal.

Intemporel T3 & 4Où les histoires vivent. Découvrez maintenant