Gabriel (Chapitre 119)

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Je pense alors immédiatement à Theresa. Celle qui m'a laissé gagné et à qui j'ai promis que nous nous affronterions un jour à la loyale. Je ne pourrai pas tenir parole.

Je pense aux flammes qui ravagent la ville, qui détruisent tout ce que j'aime et, l'espace d'un instant, mes yeux luisent d'un feu sombre. Edilyn, entièrement à ma merci, reste immobile dans mes bras, sans connaissance, se balançant au rythme des secousses des griffes de Satan.

Je ne pense plus rien de cohérent. La colère, la tristesse, la haine, emplissent chaque particule de mon corps. La dernière fois, je l'ai laissé partir. Elle a tenté de tuer Azylis. Elle m'a déjà pris mes parents. Nos parents.

La voix de Satan résonne alors dans mon esprit, me tirant du brouillard.

-Ce n'est pas pratique pour moi de vous porter dans mes griffes. Je vais me poser sur ce toit là-bas, intact, et vous monterez sur mon dos.

-Ok.

Ma voix froide, impersonnelle, le déstabilise mais il ne pose pas la moindre question. Il se contente de voler jusqu'au toit qu'il vient de décrire et de nous laisser rouler sur la surface dure avec mauvaise humeur. L'immense dragon se pose ensuite sur le toit tandis que je me relève lentement, les yeux fixés sur le visage d'Edilyn, blafard.

Ma décision est prise. Je vais la laisser ici. Que le sort décide de son destin. Une petite voix murmure alors qu'elle n'a aucune chance de s'en sortir et je contracte mes lèvres, furieux contre moi-même. La voix de Satan résonne de nouveau dans ma tête.

-Alors chef de clans ! Qu'est-ce-que tu fabriques ?

-Rien ! Je...

Je ferme alors mes pensées pour me concentrer sur un petit objet qu'Edilyn sert dans sa main. Ses doigts sont contractés autour et il me faut quelques secondes pour l'extraire de sa poigne.

Je la reconnais... La petite danseuse. Des milliers de souvenirs envahissent aussitôt mon esprit, m'emplissant d'une étrange émotion que je ne peux contrôler.

Il m'avait fallu du temps pour trouver une idée de cadeau pour ma soeur ce jour-là... Et puis j'avais pensé à sa collection de danseuses. J'en avais dénichée une dans une grande boutique du centre commercial d'Ivy. Même à cette époque-là, je détestais perdre mon temps dans ces endroits et ça n'avait pas été une partie de plaisir. Mais j'avais trouvé mon cadeau. Que je n'avais jamais pu lui offrir.

Ma gorge se serre. Ou l'a-t-elle trouvé ? Forcément dans ma chambre, en fouillant dans mes affaires. Je regarde une nouvelle fois son visage trop pâle et immobile, ses paupières clauses comme si elle était simplement immobile. Derrière moi, l'immense dragon combattant commence à s'impatienter.

J'hésite encore quelques secondes avant de brusquement changer d'avis. Ça m'est égal ce qu'on fera après. Ça m'est égal ce que penseront les autres. Je ne la laisserai pas mourir. J'attache la petite danseuse à sa ceinture pour ne pas qu'elle tombe et soulève rapidement ma soeur dans mes bras. Les flammes commencent à se rapprocher de ce bâtiment jusque là mystérieusement épargné.

Je m'avance de quelques pas vers Satan et il baisse légèrement son long cou. Je parviens à monter Edilyn, toujours évanouie, et grimpe derrière elle. Les mains serrés autour de ses bras pour la stabiliser, j'ordonne mentalement à Satan de décoller. Il me répond dans un léger grondement.

-Pas trop tôt ! Pourquoi est-ce-que ton humaine ne réagit pas ?

Je garde quelques minutes le silence tandis que nous survolons la ville en feu. Comment avouer que je préfère la soeur calmement endormie plutôt que bien réveillé ? Mais ma haine est toujours aussi présente, empoisonnant mon coeur. Seule la petite danseuse qui se balance dans le vent à la ceinture d'Edilyn m'empêche de l'abandonner dans les flammes. Je réponds lentement à Satan, cachant soigneusement au passage mes réflexions.

-Je ne sais pas pourquoi elle reste évanouie. Il doit y avoir un problème mais ce n'est pas le moment de vérifier ça.

-Mmm... Ce n'est qu'un poids inutile.

-Abandonnerais tu Rebelle ?

Azylis m'a expliqué ce qui l'a conduite à adopter deux combattants. J'avoue n'être pas très convaincu mais je ne suis pas sûr que mon jugement soit pris en compte. Elle a légèrement tendance... A n'en faire qu'à sa tête ! Le pire, c'est que cela ne lui amène pas que des ennuis... Satan ne répond pas et je devine que j'ai gagné cette bataille verbale. Il me demande seulement de temps en temps des indications sur la route à suivre.

Bientôt, nous sortons des limites de la ville et survolons la forêt. Un quart d'heure plus tard, c'est la campagne. Et, quelques instants après, mon petit palais avec ses grands jardins.

Dans ma propriété, il n'y a que nos gardes et tous ceux de la tour que nous venons de quitter comme je m'en aperçois rapidement lorsque nous commençons à nous diriger vers le sol.

Mais le reste des collines des alentours est noir de monde. Tout les habitants d'Ivy se sont réfugiés dans les collines et dans les forêts.

Pris d'une soudaine inspiration, je demande à Satan :

-N'atterris pas dans les jardins s'il te plait. Directement sur la plus haute plateforme du palais. Mon invitée risque d'être... Encombrante...

Le dragon combattant fouette l'air de sa queue d'un mouvement énervé mais obtempère. Quelques secondes plus tard, nous atterrissons sur la plateforme de verre.

Je descends immédiatement de ma monture en entraînant avec moi mon "colis" toujours inerte. Satan tourne sa fine tête vers moi et demande et grattant le sol avec énervement -ce qui raye le verre de façon assez peu esthétique- :

-Puis je disposer maintenant ?

-Oui... Et... Satan ?

-Mmm...?

-Merci de m'avoir dit qu'un humain appelait à l'aide. Vraiment.

Il hésite quelques secondes avant de lentement répondre :

-Je t'en prie.

Comme s'il éprouvait le besoin soudain de me donner des explications, il ajoute :

-Je vais retrouver Rebelle. Je l'ai vue lorsque nous survolions le parc.

J'acquiesce et il décolle aussitôt de la plateforme. Je reste immobile, ma soeur dans mes bras, à le regarder plonger vers le sol avec grâce.

Je me tourne ensuite vers les portes de verre de la plateforme, sans lâcher mon fardeau et une unique pensée en tête.

Je l'ai détestée toute ma vie. Je ne l'ai déjà pas tuée l'autre fois. Mais aujourd'hui ?

Que vais-je bien pouvoir en faire ?

Intemporel T3 & 4Où les histoires vivent. Découvrez maintenant