Intemporel T3 & 4

Azylis (Chapitre 141)

Ça fait plus d'une heure que j'attends Gabriel au lieu de notre rendez-vous. Je marche rapidement, mais toujours en rond, sentant l'anxiété et la peur m'envahir petit à petit.

Mon imagination m'entraîne dans de terribles idées et j'essuie d'un geste furtif une larme sur ma joue. J'attends dans les environs du palais d'Ivy détruit... Je n'ai pour toute compagnie que Kim et mon dragon Rebelle.

Je m'assois par terre sur l'herbe brûlée et sers mes bras autour de mes jambes. Pourquoi est-ce-que j'ai peur ? Je dois retrouver ici Gabriel. Il ne pouvait rien lui arriver...

Kim vient s'installer à côté de moi et pose sa petite tête sur mon épaule.

-Ça va Azou ?

Je ne réponds rien avant d'esquisser un sourire crispé. Je ne peux pas l'inquiéter inutilement.

-Rien Kim. Je suis juste... Un peu inquiète. Il est en retard tu comprends ?

-Qui c'est qu'est en retard ?

Elle m'arrache un nouveau sourire crispé et je murmure :

-Mon mari.

Les mots m'écorchent la bouche sans que je sache pourquoi. J'ai peur... Je lève les yeux vers la tête de mon dragon allongé à quelques mètres. Comme si elle sentait mon regard, ce qui est probablement le cas, Rebelle redresse la tête vers moi.

-Qu'y-a-t-il petite humaine ?

-Je veux qu'on parte. A la tour... Ce retard de Gabriel... Il... Il doit y avoir quelque part un problème.

-Tu vas mettre la petite en danger ?

Je jette un coup d'œil à Kim a côté de moi avant de lentement comprendre dans les brumes de mon cerveau que Rebelle essaie de me protéger. S'attacherait-elle à moi ? Mais cette pensée ne m'arrache même pas un sourire.

-Je la protégerai. Mais je ne peux plus rester ici...

Rebelle ne répond rien mais relève lentement la tête. Je crois d'abord que c'est une réponse à mon propos et je me relève moi aussi à demi avant de me laisser tomber sur le sol de nouveau.

-Qu'y-a-t-il ?

Le dragon se soulève. Rebelle semble inquiète et sa queue balaie le sol d'un long mouvement circulaire.

-Il y a quelque chose de bizarre...

-Quoi ?

-J'entends un bruit très étrange. Mais très lointain aussi.

-Emmènes moi là bas ! Maintenant j'en suis sûre... Gabriel est là-bas.

Je me lève et prend la main de Kim qui me jette un petit coup d'œil inquiet.

-On va où Azou ?

-Pas loin, tout va bien ne t'inquiète pas...

Mais justement parce que je dis ça elle devine que tout ne va pas bien. Mais elle garde le silence et me laisse la mettre sur le dos de Rebelle. Je grimpe sur le dragon juste derrière elle. Je m'agrippe aux écailles tandis que nous prenons notre envol.

Mais après quelques minutes dans les nuages, la voix de Rebelle se fraye un chemin dans mes pensées et mon esprit.

-Petite humaine ? Le bruit étrange... Je l'entends partout maintenant. Je crois qu'il est dans les villes. Ou dois-je aller ?

Là où tout se passe...

-Tu sais où est Edilyn ?

-Oui.

Nous virons d'un battement d'ailes tandis que je tente de retenir la peur qui fait accélérer ma cadence cardiaque. Pourquoi lui serait-il arrivé quelque chose ? Je suis folle de me mettre dans des états pareils...

Je resserre pourtant mes bras autour de Kim comme pour me rassurer et la petite fille se pelotonne contre moi.

Les minutes passent tandis que le vent nous fouette le visage. De longues minutes, pleine d'une peur croissante et d'une inquiétude irraisonnée.

Les premières tours de la ville ou a élu domicile Edilyn apparaissent alors à l'horizon.

Et, quelques minutes plus tard, je l'entends. Le bruit étrange... Insoutenable, entêtant... Le bruit de milliers de clochers renvoyant le son du glas...

Qui est mort ? Les larmes coulent sur mes joues tandis que je ne peux m'empêcher de supplier :

-Rebelle... S'il te plait plus vite !

Je ne peux plus penser correctement et je m'accroche à mon espoir tandis qu'à chaque battement d'aile le glas me pénètre un peu plus les oreilles et le coeur.

Mais une question infernale ne veut pas quitter mes pensées. Qui est-ce-que la ville serait prête à pleurer ainsi ? Qui ?

La peur me fait fermer les yeux et refuser d'imaginer une réponse. Mais Rebelle demande d'une voix douce :

-Où veux tu aller ? Au centre de la ville ? On dirait que c'est là qu'est concentrée la plus grande partie de la population.

-Vas... Vas-y.

J'ai peur. Mais en même temps je sais que ce n'est pas possible. Qu'est ce qui pourrait arriver à Gabriel ? Il est indestructible et je l'aime...

Nous plongeons vers le sol et j'aperçois les rues. Noires d'une foule qui chante une chanson qui monte jusqu'à mes oreilles mais dont je ne comprends pas les paroles.

J'aperçois alors un édifice étrangement plus bas que les autres. Je le désigne du doigt avant de me rappeler que Rebelle ne peut pas me voir et le visualise en esprit avant de dire :

-Peux-tu te poser là-bas ?

Elle ne répond pas mais s'y dirige en droite ligne. Trois minutes plus tard, nous atterrissons sur le toit presque en douceur et je saute sur la surface dure. Je me précipite jusqu'à l'extrême bord du toit et embrasse la scène en un seule regard.

Une rue... Immense. Et une foule qui s'étend à perte de vue. Le bruit du glas rythmant l'air et ce chant mélancolique que je ne comprends toujours pas.

Mes yeux sont alors attirés par un éclat brillant au centre de la foule. Un cercueil entièrement de verre...

-Rebelle... Toi tu vois. Qui est ce ?

Mais mon dragon ne répond pas et se contente de s'avancer jusqu'à moi au bord du toit. Nos yeux se croisent un bref instant et je sens quelque chose se briser au fond de moi-même.

-Re... Rebelle ?

Elle ferme les yeux et en un instant, elle fait une chose qu'elle n'avait jamais faite. Mon esprit bascule dans le sien et je vois soudainement par ses yeux.

Notre regard mêlé se pose alors sur le lointain cercueil ressemblant à une boîte d'allumette vu d'ici. Mais la vue de Rebelle est réellement exceptionnelle. Un long cri de désespoir brûlant s'échappe de mes lèvres tandis que j'ai l'impression de tomber dans les profondeurs d'un cauchemar.

-Non ! Non ce n'est pas possible ! Nooooooon !

Je m'écroule au bord du toit. A quelques centimètres du vide soudainement attrayant. Je ne vois plus rien car un nuage de larmes me voile les yeux. Non...

Ces cheveux blonds. Ces yeux bleus... Et cette balafre. Et ce visage.

Ce que j'avais pressentit depuis un certain moment déjà me submerge brusquement. Prostrée sur le sol, secouée par des sanglots irrépressibles, je ne pense qu'à une chose.

Il est mort... Il est mort ! Non... Pas lui ! Ce n'est pas juste, ce n'est pas possible...

Je tente de trouver quelque chose à quoi me raccrocher mais je me noie dans mes larmes et sens lentement un noir affreux s'emparer de moi. Il est mort. C'est la seule chose à laquelle je me sens capable de penser.