Thaïs (Chapitre 156)

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Je me lève brusquement, oubliant toute fatigue et me rue dans l'allée. De loin, je ne vois qu'une chose.

La princesse est debout, à côté de son cheval blanc. Elle n'a visiblement pas sauté et s'est arrêtée avant l'arbre fatidique... Mais l'on ne voit plus trace du cheval bai et de son cavalier.

Tandis que je me mets à courir sans même qu'elle m'ait remarqué, je vois la jeune fille passer de l'autre côté de l'épais tronc d'arbre en abandonnant son cheval qui commence à arracher du bout des dents quelques touffes d'herbe.

Lorsque j'arrive enfin devant l'endroit, ce que je vois me glace le sang. La princesse, de l'autre côté, penchée sur le jeune homme à terre, et à côté le cheval au corps brisé. Edilyn se redresse alors et elle pousse un cri en me voyant.

Je ne peux m'empêcher de me sentir intimidée, malgré ses quatorze ans, et palis légèrement. Personne ne m'a jamais expliqué comment réagir dans une situation pareille. Mais elle me demande aussitôt :

-Qui... Qui es-tu ?

-J'étais dans la forêt par hasard, je...

Je m'arrête net tandis qu'elle s'écarte légèrement. Le jeune homme et immobile à terre et ses yeux sont ouverts sans que l'on y voit un souffle de vie. Cette vision d'épouvante me fait reculer et Edilyn murmure d'une voix atone :

-Oui. Il... Il est mort.

Je ne réponds rien, me sentant touchée au plus profond de moi par cet adolescent de mon âge frappé par le destin. D'abord un enlèvement et puis... Non c'est affreux.

La princesse s'agenouille de nouveau sur le sol et je vois les larmes couler sur ses joues.

-Tu... tu as entendu ce que nous disions ?

Je choisis d'acquiescer, totalement incapable d'articuler la moindre parole et me sentant prêt de fondre en larmes à mon tour. Elle poursuit d'une voix toujours atone, déconnectée de toute réalité :

-Alors tu sais que c'est ma faute. Il a eu peur pour moi il a voulu m'aider, il... Je ne savais pas !...

Je ne sais pas comment soulager sa souffrance. Et la mienne. Car voir ce drame se dérouler sous mes yeux m'a emplit d'un sentiment d'horreur que je ne parviens pas à combattre.

Je passe de l'autre côté de l'arbre et vient m'agenouiller auprès d'Edilyn et de l'adolescent immobile pour toujours.

-Princesse... Il faut aller chercher quelqu'un.

Mais, secouée de sanglots incontrôlables, elle se contente de demander :

-Tu diras tout ?

-Vous ne voulez pas ?

Elle secoue la tête dans un mouvement convulsif et je jette un coup d'œil aux alentours déserts.

-Écoutez...

-Tu... tu peux me tutoyer...

Je rougis légèrement, ne pouvant m'empêcher de me sentir toujours un peu gênée vis-à-vis de la princesse. Elle, elle ne quitte pas des yeux ce que j'essaie d'oublier : le cheval et son cavalier...

-Je vais partir maintenant si tu veux...

Mais comme si elle paniquait à l'idée de se retrouver soudainement seule, Edilyn se redresse et je retrouve un instant sur son visage sa fierté et son habitude de commander manifeste et déjà légendaire.

-Non restes ! Pardon... Excuses-moi, je... je ne sais pas quoi faire. Je ne veux pas rester seule ici, s'il te plaît...

-Si... si je reste on m'interrogera. Et je ne mentirais pas...

Elle hésite puis lève de nouveau la tête vers moi. Ses yeux se posent sur son cousin et elle murmure d'une voix à peine audible :

-Si tu t'en vas maintenant... Tu me jures de ne jamais rien dire ? C'est ma faute s'il est mort, ma faute... Et je ne ressens rien ! Ça me semble tellement... impossible !

Je pose une main sur son épaule et nous échangeons un long regard.

-Tu as ma parole. Je t'en prie, dès que je me serais éloignée, appelle quelqu'un...

Elle acquiesce et je me relève, vacillante, épuisée de ma longue marche et de l'horreur qui ne veut toujours pas quitter mon esprit. Edilyn désigne alors du doigt son cheval blanc qui broute l'herbe à quelques pas comme tout à l'heure et murmure :

-P... Prends-le. Moi... je ne pourrais pas. Pas après... après ça.

J'acquiesce en silence et repasse de l'autre côté de l'arbre. Je rattrape le cheval qui fait un petit écart et grimpe maladroitement en selle. Je n'ai fais que peu d'équitation... deux fois dans ma vie je pense. Mais c'est le moment ou jamais d'apprendre. Lorsque je m'enfonce entre les arbres, la seule chose que j'entends comme en écho au sentiment de tristesse et de gâchis qui me sert le cœur et un léger nouveau sanglot de la princesse. Je ne la regarderais plus jamais de la même façon... parce que je n'aimerai pas être à sa place. Je suis sûre que, d'une manière ou d'une autre, cela la fera changer, grandir trop vite. Comment continuer après ça ?

***
De nouveau dans le présent.

Je tressaille dans le noir. Aevin a les yeux posé sur moi, il est assis à ma droite, et Kim semble s'être endormie sur ses genoux. Depuis combien de temps est-ce-que je suis ainsi perdue dans mes pensées ?

John... La chute... Edilyn. Notre première rencontre. Lorsque nos yeux se sont recroisés quelques années plus tard, à un défilé, elle m'a tout de suite reconnue. Lorsqu'elle m'a invité et Que j'ai accepté de la rejoindre pour une après-midi au palais, j'ignorais qu'une amitié quasi fusionnelle se développerait entre nous... jusqu'à l'épisode du bracelet-espion et du chantage.

Je cligne des yeux et entends Aevin murmurer pour ne pas réveiller Kim :

-Alors Thaïs, encore en train de rêver ?

Même à lui je ne lui ai jamais révélé cet épisode de ma vie. Si Edilyn a décidé de le garder secret, même après tout ce qu'elle a détruit dans ma vie aujourd'hui, c'est son choix. Et je n'oublierait jamais notre amitié.

-Je crois oui... Mais c'était vraiment étrange cette fois-ci.

Sans que j'ai besoin de le dire, Aevin devine que je ne veux pas m'étendre sur le sujet. Il avance doucement la main vers moi et me serre contre lui. Le mouvement ne réveille même pas Kim.

Nous nous redresssons alors tous les deux d'un même mouvement. La lumière caractéristique d'un aéronef vient de trouer la nuit...

Gaëtan ?

Intemporel T3 & 4Où les histoires vivent. Découvrez maintenant