Thaïs (Chapitre 169)

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"Toc, toc..."

Il est dix heures du matin et nous échangeons tous un coup d'œil à la fois perplexe puis franchement amusé. Aevin remarque d'un ton docte :

-Attends ils ont la politesse de toquer aux portes... Tu crois que je pourrai leur demander une tasse de thé ? Et éventuellement, oh, vraiment si cela ne les dérange pas, de nous libérer...

Je cache mal mon hilarité grandissante mais nous sommes interrompus par un nouveau "toc, toc" à la porte de notre cellule plus insistant que le premier.

Aevin, absolument imperturbable, se lève et se dirige vers la porte. Une fois juste devant, il toussote et dit ensuite d'une voix de majordome de caricature :

-Entrez nobles visiteurs...!

-Pas trop tôt je commençais à perdre patience...

Je me lève prestement à mon tour et Gaëtan également. Lorsque la porte s'ouvre sur un vieil homme aux cheveux blancs, nous sommes tous debout sauf Kim qui dort toujours, un pouce dans la bouche et Cigarette serré contre elle sur un matelas de fortune.

Comme si nous venions de gagner le premier prix d'une tombola, le bonhomme nous regarde quelques secondes tous les trois à tour de rôle -il y a quand même deux gardes derrière lui- et lève les mains en s'exclamant :

-Ah, c'est vous les heureux élus ?

Je me mordille la lèvre avant de demander des précisions, n'y tenant plus.

-Les heureux élus ? De quoi ?

-Mais pour aller sur Sagan ! N'avez vous jamais rêvé de découvrir le monde ? De participer à l'une des plus splendides expériences de la science ?

Je dévisage le bonhomme, sûr de voir apparaître un sourire moqueur sur ses traits. Mais non. À priori, il ne semble pas avoir conscience que nous sommes ici légèrement contre notre gré.

Mais Gaëtan, qui est le seul de nous trois à garder son sérieux, demande avec brusquerie :

-Vous n'avez pas répondu, qui êtes vous et pourquoi venez-nous nous voir ?

L'homme lui tend une main ferme que Gaëtan saisit sans réfléchir et l'autre se présente avec un sourire réjoui :

-Professeur Panem. Enchanté de vous connaître jeune homme.

Répondre à une question complètement ne semble pas vraiment possible... Aevin, à côté de moi, murmure quelque chose comme :

-Jeune homme... il a plus de vingt-cinq ans quand même !

Je décide de tenter de rester sérieuse et d'ignorer superbement les remarques de mon mari. Je commence à comprendre...

-Professeur, vous faites partie de l'expédition pour Sagan n'est-ce-pas ?

-Exactement !

Ses yeux brillent lorsqu'il se tourne vers moi à travers ses petites lunettes. Il me tend à moi aussi une main à serrer et je m'exécute machinalement. Le professeur me dévisage quelques minutes de plus que Gaëtan.

-Thaïs...?

Surprise, je lâche sa main -il aurait serré énergiquement la mienne pendant deux jours entiers si je l'avais laissé faire- et demande :

-Vous me connaissez ?

-Je connais bien l'histoire de votre sœur et je vous ai aperçu à plusieurs reprises lorsque vous étiez enfant. Je me suis occupée de votre sœur...

Voyant que je ne réagis pas il ajoute :

-La sphère...

Suis-je sensée le remercier ? Je n'en sais rien et cela ne doit pas avoir beaucoup d'importance car le professeur est déjà devant Aevin.

-Un autre jeune homme ! De la vitalité et de la force, Sagan aura besoin de vos bras puissants !

À la seule évocation de travail, Aevin grimace à mon attention et un sourire fleurit sur mes lèvres. Quand à la musculation, malgré tout ce qu'il en dit, je le voit mal soulever plus de trois kilos... J'ai l'impression que le drôle de professeur nous laisse tous légèrement stupéfaits... Mais Gaëtan ne perd pas le nord et il s'avance vers lui dès qu'il a finit de dire bonjour à mon mari.

-Professeur ! Je voulais vous demander... Vous avez besoin de bras forts dites-vous, mais pas d'une enfant... Edilyn...

Le professeur jette un coup d'œil à Kim, maintenant réveillée à cause de tout notre tapage, et esquisse un geste de bonjour. Mais elle se contente de tourner la tête et de caresser de plus belle Cigarette. Le professeur Panem ne s'en formalise pas et se contente de répondre à Gaëtan avec un demi-sourire.

-Mon cher, avoir une enfant dans mon expédition me va tout à fait et je ne demanderai pas à la reine de changer d'avis là dessus. J'aime les enfants jeune homme, ils sont source d'apprentissage et de joie...

Gaëtan, désespéré, tente un nouvel argument :

-Mais il y aura du danger là-bas et...

-Du danger ?

L'homme paraît sincèrement interloqué et Gaëtan abandonne. Même moi, je comprends qu'envisager toute discussion avec ce bizarre professeur pour tenter de faire libérer Kim est totalement impossible. Mais le docteur recule vers les deux gardes qui n'ont pas quitté l'entrée et nous regarde tous les trois quelques minutes joyeusement avant de dire :

-Avec tout ça, je ne vous ai pas dit la raison de ma visite...

Ah il en vient à notre question de tout à l'heure, ce que je ne peux m'empêcher de remarquer avec un nouvelle lueur d'amusement qui s'allume au fond de mes yeux et difficile à étouffer. Je me garde pourtant bien de l'interrompre et le professeur poursuit :

-Je suis venu vous annoncer que vous allez participer à partir de cette après-midi à des entraînements destinés à faire de vous de parfaits explorateurs... Nous nous retrouverons donc dans quelques heures pour les explications et la visite de nos locaux... à tout à l'heure !

Et, avec l'expression d'un père Noël qui vient de tirer un lapin de son chapeau, il quitte la pièce très fier de lui suivi des deux gardes. La porte se referme sur un parfait silence.

Nous échangeons alors tous les trois un long regard. Étrangement, c'est Gaëtan qui est le premier à craquer.

Il éclate de rire et murmure d'une voix entrecoupée, légèrement penché en avant :

-Bon sang c'était quoi ça ? Le chef de l'expédition ?

Sans surprise, Aevin suit son frère et je ne tarde pas à me joindre moi aussi à l'hilarité générale. Aucun de nous ne prend la peine de lui répondre.

Kim nous regarde sans comprendre et, quelques minutes plus tard, une fois que nous sommes tous calmés, Gaëtan se rassoit à terre et la petite fille vient s'installer à côté de lui. Cigarette s'envole et choisit de se percher sur mon épaule, ce qui me flatte plus que je ne voudrai l'avouer, en tirant sa langue fourchue une nouvelle fois en direction d'Aevin. À croire qu'il est fâché avec son maître.

Mais celui-ci ne s'en formalise pas le moins du monde et nous regarde quelques secondes avant de lancer une question à la cantonade qui nous fait immédiatement retrouver tout notre sérieux :

-Bon, si je comprends bien c'est le moment ou jamais... On essaie de s'enfuir cette après-midi ?

Intemporel T3 & 4Où les histoires vivent. Découvrez maintenant