Chapitre 3

307 59 32
                                    

Ayma était étendue sur le bois tiède du ponton. Elle laissait les rayons de Teratsu glisser sur sa peau et la réchauffer. Ses cheveux étaient éparpillés tout autour de sa tête, dans un ruissellement de boucles noires, encore légèrement humides. Elle sentait des picotements, des tiraillements sur ses joues, mais elle n'aurait su dire s'ils étaient causés par le sel de l'océan ou par celui de ses larmes. Elle ne pleurait plus.

Elle regardait défiler les nuages et essayait de ne plus penser à rien... ne plus penser à ces mots qui lui comprimaient le cœur... seulement se concentrer sur la forme changeante des nuages.

Soudain, elle perçut des bruits de pas qui se rapprochaient. Elle décida de les ignorer et se replongea dans la contemplation de la voûte céleste. Mais elle fut tirée de sa rêverie par un petit rire familier :

« Laisse-moi deviner : les Augures t'ont annoncé que tu es une fidèle de Consuere et tu as eu peur de l'ampleur de la tâche qui t'attend, étant donné le nombre de tuniques et de robes que tu déchires chaque semaine ! Devoir toutes les recoudre te prendrait toute une vie et tu seras une couturière bien occupée ! »

Ayma ne réagit pas à la plaisanterie de son cousin, ce qui était assez inhabituel. Le tempérament colérique de la jeune fille amusait beaucoup ce dernier qui aimait la taquiner. L'absence de réaction de sa cousine l'interpela.

« Ayma, dis-moi ce qui ne va pas. Ma mère t'a vue sortir en larmes du temple et elle est très inquiète. Elle t'a cherchée partout ! Allez, viens ! Elle nous attend. Et tu la connais, quand elle est anxieuse, elle cuisine. A l'heure qu'il est, notre maison doit être prête à accueillir un régiment affamé... »

Ayma ne rit pas. Aucun sourire n'atteignit ses lèvres. Caân n'était pas habitué à laisser sa cousine indifférente. Il se déplaça afin d'entrer dans son champ de vision. Elle le regarda enfin. Sa chevelure formait des ondulations dorées autour de son visage. Il avait les mêmes cheveux que Cymaïa. D'ailleurs, il ressemblait beaucoup à sa mère : ses yeux étaient du même vert et son sourire possédait la même chaleur.

Ayma croisa le regard lumineux de son cousin. Toute la souffrance et la solitude qu'elle ressentait la submergèrent de nouveau. Des sanglots jaillirent de sa poitrine. Caân la souleva et la serra dans ses bras. Il était totalement désemparé par la brutalité de son chagrin. Elle semblait si fragile... Alors qu'habituellement, elle était si forte, comme si elle était capable de survivre à toutes les épreuves de la vie. Il souffrait de la voir ainsi.

« Viens. Tu n'as rien avalé depuis ce matin, on va trouver un endroit pour manger quelque chose et tu me raconteras ce qui te met dans un tel état. »

Incapable de répondre, ni même d'acquiescer, Ayma suivit son cousin qui avait resserré son étreinte de peur qu'elle ne trébuche. Elle semblait sans volonté, comme une poupée brisée.



Le restaurant de Nhiwapu était, en fait, une minuscule échoppe. Cependant, il servait les meilleurs gogus de tout Monas. Les clients mangeaient accoudés au large comptoir, hissés sur de grands tabourets en bois. Ils plaisantaient avec leurs amis, tout en buvant les alcools locaux. De l'autre côté du comptoir, Nhiwapu s'activait toute la journée dans sa cuisine, tout en assurant le service. Depuis que sa femme était tombée malade, il faisait marcher son affaire tout seul. Il espérait qu'elle serait prochainement rétablie et qu'elle pourrait l'aider comme auparavant... Mais, elle s'affaiblissait chaque jour davantage. En réalité, Nhiwapu était effrayé : il lui importait peu que sa femme ne l'aide plus, il avait juste terriblement peur qu'elle ne le quitte pour rejoindre le royaume des morts. Finalement, travailler comme un forcené lui épargnait de penser à toutes ces idées macabres. Lorsqu'il avait quelques minutes de répit devant lui, il regardait le vent jouer avec les lanternes rouges accrochées à l'entrée, ou bien, il discutait avec ses habitués.

Com Plëa - La légende de P. *En Pause*Où les histoires vivent. Découvrez maintenant