Chapitre 39

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Devant la porte de Sihoq, la main sur la poignée, Ywan hésitait. Pouvait-il entrer ou valait-il mieux qu'il passe son chemin ? Il avait entendu des bruits étranges provenant de l'intérieur de la pièce, comme si quelqu'un cassait tous les objets qui lui tombaient sous la main. Si Sihoq était énervé, peut-être était-il plus raisonnable de ne pas s'exposer à son courroux. Malgré tout, Le jeune homme prit une profonde inspiration et ouvrit la porte.


Sihoq se tourna vers lui, l'air menaçant... Mais à la vue d'Ywan il parut légèrement se calmer, se contentant de donner un coup de pied dans une bougie sur sa gauche. Puis il se mit à faire les cent pas en grommelant des menaces. Ywan jeta un regard circulaire pour appréhender l'étendue des dégâts. Un verre avait été lancé contre un mur : le vin ruisselait encore le long de celui-ci et des éclats brillants parsemaient le sol. La plupart des bougies étaient éparpillées et une table avait été renversée... Des parchemins étaient répandus par terre tout autour.


Le jeune homme fronça les sourcils mais il ne dit rien. Il attendait avec patience que son chef lui explique son accès de colère. Sihoq se servit du vin (un verre et un pichet avaient miraculeusement échappé à sa hargne) et se tourna vers son disciple :


- Wihfa a encore fait des siennes ! Elle ne suit jamais mes directives ! Elle ne peut pas s'empêcher d'ajouter son grain de sel ! fulmina-t-il.


Il but son verre d'une seule traite et l'envoya se briser contre le même mur que le précédent.


- Non seulement elle n'a pas encore réussi à capturer Ayma, mais elle a empoisonné l'espion qui a vécu plusieurs semaines à ses côtés, au lieu de me l'envoyer afin que je puisse l'interroger ! poursuivit-il. Elle l'a empoisonné ! Et elle veut me faire croire que c'était pour le punir de son échec ! Mais pour qui me prend-elle ? Comme si je ne la connaissais pas ! Elle désire juste contrôler les informations qu'elle lui a soutirées et me les distiller au compte-gouttes...


Il se laissa tomber plus qu'il ne s'assit sur son trône. Ses mains tremblaient encore de rage. Il brandit la lettre envoyée par Wihfa et en fit une lecture commentée à Ywan. Mais celui-ci ne l'écoutait plus vraiment. A la mention du prénom de la jeune fille, ses pensées étaient parties loin, très loin dans une rêverie mélancolique...


Il continuait de faire ces rêves étranges, qui n'en étaient pas réellement... Et dans chacun d'eux, ou presque, il voyait Ayma. Il en était même venu à aimer revivre le Wjajy de la jeune fille à travers les yeux de la prêtresse qu'il avait assassinée. Il se repassait cette scène en boucle dans sa tête... Elle pénétrait dans le bassin de la purification avec ses longs cheveux bruns pour seule parure. Elle paraissait intimidée... Puis, de nouveau, cette expression d'incrédulité suivie d'une intense souffrance... Et sa fuite. Pourquoi lui avait-il infligé cette peine ? Pourquoi ne l'avait-il pas suivie à ce moment-là ? Tout aurait pu être si différent s'il l'avait rattrapée... Il soupira.


Une autre personne apparaissait désormais dans tous ses rêves : la petite fille aux yeux d'or. Si la question de son identité l'obsédait toujours, il s'était habitué à sa présence rassurante ainsi qu'à ses paroles sibyllines. Un changement avait cependant eu lieu la nuit précédente. Il avait encore revécu le meurtre de son vieux maître, ainsi que celui de la prêtresse, mais cette fois-ci il n'était plus dans le corps de ses victimes. Il n'était même pas dans le sien... Il observait la scène de l'extérieur, comme un témoin invisible. A ses côtés, la petite fille au regard de lumière insinuait le doute dans son esprit :

« Pourquoi prends-tu la décision à ce moment-là de le tuer ? »

« Et si tu avais aidé ton maître à guider Ayma sur le chemin que les dieux ont tracé pour elle ? »

« N'as-tu réellement rien ressenti en tuant ton mentor ? »

Après avoir prononcé cette dernière question, elle lui avait pris la main et le monde autour d'eux s'était brouillé... Quand elle avait desserré son étreinte, ils se trouvaient dans un tout autre endroit : la chambre d'Ywan à Monas. Le jeune homme comprit qu'ils étaient dans un autre souvenir quand il se vit assis à sa table de travail. Il paraissait plus jeune... Des livres étaient ouverts sous ses yeux, il devait être en train d'étudier. Cependant, il remarqua bientôt les soubresauts des épaules de son double. Il sanglotait ! Pourquoi pleurait-il ? Ywan ne parvenait pas à se rappeler ce moment... Son vieux maître entra alors dans la pièce. Il tenait une part de hohqay encore chaude dont l'arôme se répandait dans la chambre entière.


- Ywan, je t'apporte du gâteau ! C'est ton anniversaire aujourd'hui, seize ans ! Cela fait presque un an déjà que tu es parmi nous, il faut fêter ça !


L'adolescent ne se retourna pas. Le vieil homme s'approcha et déposa l'assiette sur son bureau. Le livre qu'Ywan avait sous les yeux était intitulé Chroniques des plus grands disciples de Werran. Le jeune homme pleurait sur ses espoirs perdus... Son maître posa une main réconfortante sur son épaule.


- Tu sais, ce n'est pas toujours facile d'accepter le choix des dieux... Mais crois-moi, ils savent ce qu'ils font !


- Je ne vois pas en quoi devenir un rat de bibliothèque de Cognaa pourrait me rendre heureux ! Laissez-moi tranquille !


La fureur et le dépit qui grandissaient en lui depuis une année éclatèrent en cet instant. D'un revers de la main, il balaya l'assiette de son bureau et celle-ci se brisa aux pieds du vieil Augure. L'adolescent ne se retourna pas mais Ywan et la petite fille virent l'expression peinée du vieillard qui sortit en silence.


- Il voulait t'aider, dit-elle, il percevait ta souffrance... Il t'aimait.


La culpabilité envahit Ywan. Elle lui rongeait le ventre, lui laissant un goût amer au fond de la gorge... Il s'était réveillé en larmes dans son lit à Ijaïh. L'odeur du chocolat semblait encore flotter dans l'air.


Cette petite fille... Qui était-elle ? Et surtout, qu'attendait-elle de lui ?


- Ywan ? Tu m'écoutes ?


Sihoq venait de remarquer l'air absent qu'affichait son disciple.


- Oui, bien sûr, mentit-il. Vous étiez en train de me lire la lettre de Wihfa...


- En effet. Et comme une déception n'arrive jamais seule, elle m'annonce que le jeune guerrier, qui d'après elle se prénomme Maël, est resté à Xashyzan. Mais ce n'est pas grave, je vais trouver une autre solution pour l'attirer à nous. Sibren a bien besoin de ses services !


Le Grand Maître se mit à rire. Une idée simple, mais plaisante, lui avait traversé l'esprit... Oui, pourquoi pas ? Il sentit toute sa colère s'évanouir... enfin, presque... Wihfa ne perdait rien pour attendre ! Dès qu'il n'aurait plus besoin d'elle, il se ferait un plaisir de l'éliminer de ses propres mains...


- Allez, viens Ywan ! Nous allons nous entraîner un peu...


Il attrapa le jeune homme par les épaules et le poussa, plus qu'il ne le guida, vers la petite cour qui servait à leurs entrainements au combat.

Com Plëa - La légende de P. *En Pause*Où les histoires vivent. Découvrez maintenant