Chapitre 12

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Ywan fut d'abord contrarié par ce contretemps mais une pensée lui traversa l'esprit : il tenait peut-être enfin sa chance... Il expliqua à la jeune femme que l'information qu'il avait recueillie était de la plus haute importance et qu'il devait impérativement obtenir une audience auprès du Grand Maître. Il ajouta d'un ton mélodramatique que l'avenir de Sibren et du royaume tout entier était en jeu... Heureusement pour lui, cette jeune personne était assez impressionnable. Elle ouvrit de grands yeux apeurés et le conduisit dans une salle où elle le fit patienter pendant qu'elle allait demander si on pouvait le recevoir.


Cette pièce devait servir de salle à manger. Une gigantesque table flanquée de bancs trônait en son centre et tout au bout une majestueuse cheminée était équipée d'une broche servant à faire rôtir la viande. Les mains derrière le dos, Ywan faisait le tour de la pièce de son pas ample. Il essayait de contrôler l'excitation qui menaçait de le submerger et il réfléchissait à la façon dont il allait présenter la situation au Grand Maître. Enfin, il tenait l'occasion de se faire remarquer, la chance de faire partie des gens qui comptaient...


Une vieille femme, légèrement voûtée, vint lui apporter un morceau de pain, ainsi qu'un bol d'yfujaji avec un verre de vin. Elle posa le tout sur la table et lui fit signe de venir manger. Le jeune homme la remercia et s'assit sur un des bancs. Il était ravi de goûter enfin ce plat typique d'Ijaïh. Il porta à ses lèvres un morceau de poisson et soupira d'aise. Satisfaite, la vieille servante le laissa seul de nouveau.


Tandis qu'il se restaurait, ses pensées se mirent à vagabonder et il se souvint du jour où Sibren l'avait recruté. Cela s'était passé quelques semaines après son Wjajy. Ywan s'était saoulé, comme les soirs précédents, dans une taverne de Monas. Son cœur était rempli d'amertume à cause du résultat du rituel : il ne voulait pas être au service de Cognaa ! Cette vie-là ne l'intéressait pas. Sa langue fielleuse déversait sa colère à qui voulait l'entendre. Et plus son ivresse était avancée, plus ses propos devenaient virulents. Un homme, qu'il ne connaissait pas, était venu s'asseoir en face de lui. Il l'avait écouté avec attention, puis l'avait questionné. Il lui avait annoncé qu'il pouvait l'aider et lui avait donné rendez-vous le lendemain sur la jetée.


« Sois sobre, avait-il ajouté d'un ton ferme. »


Ywan, désespéré, avait attendu plusieurs heures sur la jetée que l'homme de la veille daigne se montrer. Finalement, celui-ci était arrivé d'un pas tranquille et lui avait raconté que ses amis et lui faisaient partie d'un groupe secret dont le but était d'abolir le rituel du Wjajy et l'institution des augures. Il disait que chacun pouvait choisir sa vie et que la dictature des prêtres devait prendre fin. Ses paroles étaient un baume pour le cœur meurtri d'Ywan. L'homme expliqua à celui-ci que Sibren avait besoin de lui : en tant que disciple de Cognaa, il serait leurs yeux et leurs oreilles à l'intérieur du temple. Ywan se souvint du sentiment qu'il avait alors éprouvé : il se sentait important, il avait été choisi... Il serait un atout précieux !


Le jeune homme termina son bol d'yfujaji et sauça avec un bout de pain en souriant. Il savait désormais qu'il avait eu affaire à un recruteur qui servait le même discours à de nombreux jeunes gens... Mais, s'il obtenait une audience auprès du Grand Maître, il ne serait plus un membre parmi d'autres...


Il fut interrompu dans ses réflexions par le retour de la jeune femme qui lui apprit que le Grand Maître avait accepté de le recevoir. Elle le conduisit jusqu'à une porte en bois sombre et, après l'avoir annoncé, elle l'invita à entrer dans la pièce avant de refermer la porte derrière elle, en s'en allant. Cet endroit semblait étrangement familier au jeune augure, et pour cause, c'était l'ancienne salle du Wjajy de ce temple. Des centaines de bougies diffusaient une lumière chaude et tamisée. Le bassin circulaire, situé au centre de la pièce, avait été réaménagé en une piscine rectangulaire. D'une taille respectable, elle offrait sans doute la possibilité au maître des lieux de nager à son aise. Les voilages qui dissimulaient l'estrade où se déroulait à l'origine le rituel avaient été retirés, et l'on pouvait voir un trône qui se dressait entre deux colonnes en ruine. De larges coussins ocre et cramoisis étaient disposés à même le sol afin de permettre aux visiteurs de s'asseoir.

Com Plëa - La légende de P. *En Pause*Où les histoires vivent. Découvrez maintenant