Chapitre 55

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Descendant avec paresse l'Ifug, le bateau ressemblait à une paisible embarcation fluviale dédiée au commerce. On le prenait facilement pour un de ces nombreux navires de marchandises qui voguaient sur le fleuve tranquille reliant la capitale Ajix à Ijaih la décadente. Les hommes de Sibren comptaient sur la négligence des fonctionnaires princiers pour passer sans heurt les différents points de contrôle. Le capitaine affichait un air affable et souriait de toutes ses dents gâtées aux soldats qui jouaient aux dés sur les pontons jalonnant le fleuve. De temps en temps, l'un d'entre eux relevait la tête et regardait passer l'embarcation plus par désœuvrement que par véritable intérêt.


Aucun d'entre eux ne pouvait soupçonner ce qui était caché dans la cale de ce bateau.


Le bruit d'une caisse que l'on déplaçait sur le pont réveilla Caân. Il aurait aimé s'étirer mais ses bras et ses jambes étaient entravés par des cordes. Une sensation douloureuse se réveilla dans le bas de son dos. Ayma releva la tête à son tour et Caân remarqua les meurtrissures sur ses poignets et ses chevilles : les liens avaient entamé sa peau quand elle avait essayé de se détacher.


Il croisa son regard furieux. La colère ne la quittait pas depuis quelques jours... depuis qu'elle avait été faite prisonnière et avait été enfermée dans ce bateau en sa compagnie.


Le jeune homme porta la main à son cou, cherchant machinalement son pendentif avant de se souvenir que Wihfa lui avait volé. Il laissa retomber son bras, agacé de ne pas réussir à perdre cette habitude qui lui rappelait sans cesse que sa cousine était tombée dans un piège et avait été capturée par sa faute.

Par sa faute !

Ces mots résonnaient inlassablement dans sa tête, échos désagréables aux images que son esprit avait posé sur les paroles d'Ayma.


- Quand je pense que je ne me suis pas méfiée de ce garde ! Non mais je suis vraiment naïve ! finit-elle par grommeler.


Caân hésitait... Ayma répétait cela de manière obsessionnelle. Sa rage ne diminuait pas et le jeune homme craignait de l'attiser davantage par une remarque maladroite. Ce piège, dans lequel elle était tombée, était d'une telle simplicité qu'il la soupçonnait de souffrir d'une blessure d'amour-propre. Elle était furieuse, certes, mais également vexée d'avoir été si crédule.


Alors que la jeune fille revenait de ses épreuves dans le Labyrinthe, l'un des gardes l'attendait devant sa chambre. C'était un homme d'âge mûr, au regard jovial et rassurant à la fois. Il avait pris l'habitude de plaisanter avec la jeune fille chaque fois qu'il la croisait au détour d'un couloir. A la cour d'Ajix, Ayma était entourée de courtisans qui lui infligeaient à longueur de journée leur hypocrisie doucereuse et leurs remarques perfides. Quant aux autres gardes, ils conservaient avec elle une indifférence toute professionnelle.


C'est pour cela que l'attitude amicale de cet homme avait été la bienvenue. Elle lui avait accordé sa confiance, malgré elle, par faiblesse, ou plutôt par besoin de tisser des liens amicaux pour combler le vide qui la rongeait. Caân était souvent absent, son oncle et sa tante lui manquaient, Solay l'évitait et Maël... Elle ne pouvait pas penser à lui sans que son ventre se torde, sans que sa respiration se bloque... C'est pour cela qu'elle avait baissé sa garde face à la bienveillance de cet homme.

Com Plëa - La légende de P. *En Pause*Où les histoires vivent. Découvrez maintenant