Chapitre 28

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Ayma avait traversé les différentes terrasses de la cité pour rejoindre son guide et la nuit était tombée, en dansant dans les pas de la jeune fille.


Le Xalej se trouvait dans un jardin situé à l'opposé du belvédère aux kargodasys. Ce jardin avait été créé par un disciple de Gart qui était originaire d'Ijaïh la décadente. Il avait voulu rendre hommage à sa ville maternelle en imaginant un lieu composé uniquement de végétaux qui provenaient de celle-ci. A peine avait-elle fait quelques pas sur l'herbe moelleuse que l'odeur acidulée des kwasiufs lui chatouilla agréablement les narines.


Son guide était appuyé contre le mur d'enceinte, son regard plongeait dans le vide et se perdait dans l'obscurité grandissante. Sous la lumière hésitante des étoiles, la frêle silhouette, enveloppée de la tunique dorée de son ordre, semblait prête à se dissoudre dans la nuit. Arrivée à sa hauteur, Ayma n'osa pas interrompre sa profonde méditation. Tout en le regardant, elle pensait qu'il avait l'air si fragile... C'était un enfant, un enfant malade qui allait mourir, et elle avait envie de le prendre dans ses bras pour le consoler et le rassurer (ou peut-être désirait-elle se consoler et se rassurer). Mais elle savait aussi que dès qu'il lèverait ses grands yeux emplis de sagesse sur elle et qu'il lui parlerait de sa voix paisible, l'enfant s'effacerait complètement pour laisser la place au sage.


- Je suis très inquiet, dit-il le regard toujours perdu dans les ténèbres naissantes. Malgré tous nos efforts, nous n'avons pas pu retrouver les livres qui évoquaient le symbole qui figure sur le poignard de vos assaillants.


La jeune fille avala sa salive avec peine, l'angoisse l'avait saisie à la gorge. Le Xalej, se tournant vers elle, perçut sa peur et il lui pris la main avant de poursuivre :


- Je pense qu'on a fait disparaître ces livres intentionnellement. Qui ? Je ne le sais pas... Mais je ressens des choses... je sens qu'une volonté malveillante est à l'œuvre ici. Elle semble étendre petit à petit son influence et elle cherche à t'atteindre. Mais tu ne dois pas te laisser paralyser par la peur. Sois vigilante, néanmoins, et ne fais pas confiance à n'importe qui.


Il portait sur elle un regard halluciné comme si le voile de la réalité s'était déchiré pour lui laisser entrevoir des vérités cachées. Ayma se rendit compte qu'il n'appartenait déjà plus entièrement à ce monde... la mort prenait peu à peu possession de son corps et de son esprit. Ce constat chassa la peur du cœur de la jeune fille la remplaçant par une infinie tristesse. Le Xalej quitta alors les limbes pour revenir à la réalité. Son regard avait retrouvé son calme habituel. Ayma trouva que le faible sourire qui venait de naître sur son visage était triste à en pleurer. Mais elle ne voulait pas qu'il voie ses larmes...


Le temps des pleurs viendrait fatalement, mais plus tard.


Il attrapa à l'intérieur de sa tunique une lettre qu'il lui donna. Celle-ci était cachetée au moyen d'un sceau très particulier : il représentait un hoveqihoï dont la légère cambrure rappelait la fragilité. La cire vermeille luisait de la même manière que les pétales de cette fleur, reflet terrestre des dieux.


- Tu porteras cette lettre au Prince d'Ajix, lui dit-il. Ce sceau est celui des Xalejs : il certifiera l'authenticité de ton message. Dans cette missive, je demande à mon ami, le Prince, de t'apporter l'aide dont tu as besoin et notamment de t'autoriser à consulter l'exemplaire de la légende de P. qu'il possède. Tu dois savoir que la bibliothèque princière ne ressemble pas à celle de notre sanctuaire : elle se trouve à l'intérieur du palais et seulement quelques personnes ont le droit d'y pénétrer. C'est pour cela que tu auras besoin d'une autorisation particulière accordée par notre souverain.


Il s'arrêta pour reprendre son souffle. Même le simple fait de parler devenait de plus en plus difficile pour lui. L'énergie de la vie le fuyait inexorablement... Il jaugea la jeune fille, hésitant quelques instants... Ce qu'il vit en elle dut le convaincre qu'il pouvait poursuivre :


- Ce n'est pas tout. J'y annonce aussi ma mort prochaine, ainsi que le nom de mon successeur. Le Prince doit en être prévenu officiellement comme l'indiquent les accords qui existent entre Ajix et Xashyzan.


Quand il se tut, un lourd silence pesait entre eux. Il avait enfin brisé le tabou lié à sa mort. Si elle lui en était reconnaissante, elle savait également qu'elle n'était pas assez forte pour en discuter avec lui en toute sérénité. Le Xalej ne désirait pas non plus approfondir davantage ce sujet, mais il ne put s'empêcher d'essayer de la rassurer.


- Quand je serai mort, je ne disparaitrai pas dans le néant, ajouta-t-il d'une voix douce. Mon âme, comme celles des autres Xalejs qui ont vécu avant moi, rejoindra le royaume de Sutheia.


- A quoi ressemble ce royaume ? demanda Ayma, étonnée de ne jamais en avoir entendu parler.


- Nul ne le sait, répondit-il. Mais Sutheia m'a révélé dans mes rêves que le jour de ma mort, ce n'est pas Nebris qui viendra recueillir mon âme. Elle m'a dit qu'elle s'en chargerait elle-même et qu'elle me mènerait à son royaume.


La jeune fille resta songeuse... Au loin, le chant d'un oiseau nocturne résonnait, solitaire, dans l'air parfumé. La douceur de la nuit les enveloppait tous les deux. Ayma s'appuya à son tour contre la pierre rugueuse. Une curieuse idée lui vint alors qu'elle contemplait le profil de son guide :


- Je ne connais même pas ton nom, soupira-t-elle. Dis-moi ton véritable nom, maintenant que je pars...


- Appelle-moi « ami » et je serai heureux, répondit-il doucement.


- Ami... oui, mais davantage encore... Tu es plus jeune que moi mais tu es ma sagesse, tu es plus faible mais tu es mon pilier... Tu as été mon espoir et tu resteras ma force. Ami, oui, mais tant d'autres choses encore !


A ces mots, les larmes qu'elle avait si longtemps retenues, coulèrent en silence sur ses joues. Son ami serra sa main dans la sienne. Un véritable sourire, de ceux qui illuminent le regard, était né grâce aux paroles de la jeune fille.


Une certaine quiétude planait dans l'atmosphère. Ayma, en son for intérieur, remercia les dieux d'avoir placé cet être exceptionnel sur son chemin. L'horreur qu'elle ressentait en pensant à sa mort prochaine s'était peu à peu affaiblie... De la reconnaissance, de la tristesse, de l'acceptation, de la mélancolie... toutes ces émotions s'emmêlaient, l'une prenant l'ascendant sur les autres un moment avant d'être détrônée.


Par delà les remparts, les hoveqihoïs luisaient faiblement sous la lumière de Tsuki. En tendant l'oreille, Ayma eut l'impression qu'un chant au rythme incantatoire s'élevait de la terre, montait des fleurs, l'invitant, la poussant à poursuivre sa quête.

Com Plëa - La légende de P. *En Pause*Où les histoires vivent. Découvrez maintenant