Com Plëa - La légende de P. *En Pause*

Chapitre 44

La femme, qui venait de les saluer, avait une quarantaine d'années et s'exprimait d'une voix très enjouée... bien trop enjouée ! Quelque chose dans son intonation mit Ayma mal à l'aise et elle observa donc cette nouvelle venue avec beaucoup d'attention, laissant à Riwif le soin de répondre à son salut. Elle était assez petite et bien en chair. Elle arborait une coiffure à la mode et ses cheveux avaient été sans nul doute décolorés maintes fois. Un nez assez proéminent ne parvenait pas à l'enlaidir entièrement. Ses lèvres pleines s'étiraient en un sourire faux car il n'atteignait pas ses yeux marron qui, eux, restaient froids. Il se dégageait de l'ensemble une alchimie inextinguible faite d'attirance et de répulsion...

La jeune fille tendit ensuite l'oreille et comprit aux remarques polies, mais impersonnelles, de Riwif que cette personne ne comptait pas parmi ses proches. Cependant, elle était très probablement connue à la Cour car les gardes n'avaient pas paru inquiets quand elle s'était approchée. Ils devaient estimer qu'elle n'était pas une menace pour la sécurité de la favorite.

- Qui était cette femme ? demanda Ayma quand elles se furent éloignées d'elle.

- Tu ne la connais pas ? S'étonna Riwif.

- Non. Je devrais ?

- Oui, tu devrais... Elle s'appelle Wihfa et c'est elle qui d'habitude fournit des courtisanes au Prince. Mais bon... depuis que tu es devenue la favorite, elle est dans l'attente que celui-ci se lasse de toi pour retrouver sa position. Méfie-toi d'elle : c'est une intrigante de première, il n'est pas bon de l'avoir pour ennemie !

Tout en prononçant ces paroles, la disciple de Cognaa avait rougi. Elle était toujours gênée d'évoquer la situation particulière de son amie. Plus elle apprenait à connaître Ayma, moins elle l'imaginait servir de divertissement au Prince. La suite du trajet se déroula donc dans un silence embarrassé pour Riwif et pensif pour Ayma. Cette dernière était pourtant loin de se douter qu'elle venait de rencontrer un membre important de Sibren qui avait des projets la concernant.

Les deux jeunes filles se séparèrent devant la chambre d'Ayma. Mais avant de partir, Riwif lui fit promettre de la retrouver devant le grand temple de Cognaa le soir même, au crépuscule. Ayma, étonnée de ce rendez-vous inhabituel, lui demanda ce qu'elle avait en tête. Mais son amie se contenta d'un sourire mi-taquin mi-mystérieux et s'éloigna assez vite, en agitant la main.

Ayma resta interdite devant la porte de sa chambre. Puis, haussant les épaules, elle entra pour constater que la pièce était vide de nouveau. Caân lui avait laissé une lettre sur son lit. Il avait griffonné quelques mots, essayant de lui expliquer son départ précipité, se justifiant quelque peu... Malgré toute son aversion pour cette ville, il avait mauvaise conscience de l'abandonner si souvent.

Elle s'assit sur le lit et entoura ses jambes de ses bras, ramenant ses genoux sous son menton. Elle se concentrait sur sa respiration pour ne pas pleurer... une grosse boule comprimait sa gorge. Elle avait eu tellement envie de partager sa découverte avec son cousin ! Elle ne se souvenait même plus de la dernière fois qu'ils avaient eu une discussion sérieuse à propos de son Wjajy... Le genre de discussions qui permettaient d'élaborer des hypothèses, plus ou moins probables, plus ou moins folles, mais qui donnaient l'impression à Ayma d'approcher d'une solution... comme s'il suffisait de tirer sur un fil, un tout petit fil, pour que ses problèmes se résolvent.