Chapitre 17

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Depuis qu'elle était rentrée à Ijaïh, Wihfa ne décolérait pas. Elle avait mené à bien la mission que Sihoq lui avait confiée : elle avait intrigué dans les couloirs du palais d'Ajix. Elle revenait donc couronnée de succès et en remerciements qu'obtenait-elle ? Sihoq avait un nouveau confident, il l'avait remplacée ! Comme si elle était le genre de personne qu'on pouvait remplacer ! Désormais, elle devait demander un entretien quand elle souhaitait le rencontrer. Elle n'avait plus le droit d'aller et venir dans les appartements du Grand Maître comme elle en avait l'habitude auparavant. Cela faisait donc plusieurs jours qu'elle ruminait son ressentiment envers l'un de ses subordonnées.


Cela l'exaspérait ! Comment Ywan avait-il réussi à devenir un intime de Sihoq si rapidement ? Cette question lancinante lui martelait le crâne au point de lui provoquer de douloureux maux de tête... Elle hantait les couloirs de l'ancien temple (avec une préférence pour ceux qui longeaient la salle du Grand Maître) marmonnant et ressassant l'injustice qui lui était faite...


Elle avait comploté de nombreux mois avant d'obtenir une place de choix auprès de Sihoq : elle avait usé de ses paroles mielleuses et s'était rendue indispensable... Elle aurait préféré le séduire grâce à sa beauté voluptueuse (ainsi qu'elle aimait à se décrire), malheureusement, elle était née disciple de Loqui et non de Belté. Mais son don était très puissant et elle pouvait aisément faire croire à quiconque que la réalité, telle qu'on la percevait, n'existait pas : elle serait même parvenue à convaincre n'importe qui que Teratsu ne brillait pas au-dessus de sa tête ! C'était là le don que les dieux lui avaient accordé.


La plupart des disciples de Loqui choisissait d'exercer une profession liée au commerce. Ils utilisaient leur don en devenant des vendeurs surdoués. D'ailleurs les habitants de Com'Plëa avaient coutume de dire : « Disciple de Loqui, arriverait à te vendre Tsuki ». Mais Wihfa avait développé son don en influençant les gens dans son propre intérêt et pour son propre plaisir. Ce qu'elle aimait par-dessus tout, c'était semer la zizanie, créer des conflits ; « diviser pour mieux régner » aurait pu être sa devise.


Elle avait, donc, chuchoté des louanges aux oreilles de Sihoq et traîné dans la boue tous ses rivaux afin de devenir son bras droit... Et, elle se voyait, dorénavant, refuser l'accès de sa chambre ! La rancœur emplissait son esprit, mais c'était mal la connaître que de penser qu'elle allait en rester là...


Au fond d'un couloir sombre, un rayon de lumière caressait le carrelage. Des bruits de lutte résonnaient faiblement. Wihfa avançait en rasant les murs. Elle s'arrêta juste avant d'entrer dans la lumière et jeta un coup d'œil : ce couloir donnait sur une cour de taille assez modeste, limitée par de hauts murs en pierre grise. Au centre de cet espace circulaire, deux hommes se tenaient debout, face à face. Ils brandissaient un poignard dans chaque main et ils se déplaçaient, sans se perdre du regard, tels des fauves prêts à s'entretuer.


Régulièrement, comme s'il obéissait à un signal inaudible mais impérieux, le plus jeune des deux guerriers se jetait sur son adversaire, l'entrainant dans un combat au corps à corps qui ressemblait à la chorégraphie précise et envoûtante d'une danse mystérieuse. Les poignards s'entrechoquaient, émettant de désagréables bruits métalliques et accrochant les rayons de Teratsu qui traçaient des éclairs dans le reflet de leur lame.


Soudain, cette danse primitive s'acheva. Le combattant d'âge mûr avait tracé une entaille assez profonde sur le torse de son jeune adversaire et le sang de ce dernier s'écoulait, tachant le sable blanc sur lequel ils se mouvaient. Ywan abaissa son regard vers sa blessure, puis le dirigea de nouveau vers Sihoq. Ce n'était pas de la douleur que l'on pouvait lire dans ses prunelles sombres, mais une colère froide qui semblait sur le point de s'abattre sur son adversaire. Sihoq, qui connaissait bien le tempérament impulsif de son jeune élève, choisit de désamorcer la fureur glaciale qui s'insinuait dans les veines du jeune homme :


« Tu as bien combattu aujourd'hui ! Tu progresses un peu plus chaque jour, je suis fier de toi ! On dirait un vrai disciple de Werran ! assura le maître. »


Le regard d'Ywan perdit de son agressivité et affecta son indifférence habituelle. Le jeune homme savait bien que le Grand Maître cherchait à le flatter pour s'attacher plus étroitement ses services, mais il ne pouvait s'empêcher d'être sensible à ses compliments. Sa soif de reconnaissance ne lui ôtait pas tout discernement, mais elle était si profonde qu'elle le rendait plus malléable. Muet, il écoutait les remarques de Sihoq à propos de sa plaie. Ce dernier lui disait qu'il ne fallait pas courir le risque qu'elle s'infecte.


« Il faut que tu économises tes forces ! Quand nous aurons des nouvelles de la jeune Ayma, j'aurais très certainement besoin de toi, conclut-il. »


Ces derniers mots tirèrent Ywan de la légère torpeur dans laquelle le flot de paroles de Sihoq et la perte de sang l'avaient plongé. Les syllabes du prénom de la jeune fille semblaient rouler sur sa peau déclenchant des frissons. Il ne pouvait entendre parler d'elle sans réagir physiquement... Il sentait obscurément que son destin était lié au sien, mais il ne savait pas dans quelle mesure. Ce lien serait-il lumière ou souffrance ? Il ne pouvait se prononcer...


« Avez-vous des nouvelles de Xashyzan ? se décida-t-il à demander à son mentor.


- Pas pour le moment, répondit celui-ci avec prudence. Peut-être nos hommes de Monas ont-ils réussi à les intercepter, qui sait ? Ils sont peut-être en route pour Ijaïh au moment où nous parlons, et cela même si ton chef de secteur ne t'as pas donné de nouvelles.


- Mais dans le cas contraire... »


Le jeune homme hésitait à poursuivre son questionnement. Il ne voulait pas paraître insolent. Même si le Grand Maître lui confiait souvent ses desseins, il savait qu'il n'était qu'un jeune membre de Sibren, un subalterne qui ne devait sa position qu'à la chance d'avoir assisté au Wjajy d'Ayma. Il ne voulait pas faire de faux pas, aussi préférait-il attendre que Sihoq prenne les devants et lui révèle ses plans.


« Dans le cas contraire, reprit Sihoq, Sibren ne manque pas de serviteurs... même au cœur du sanctuaire de Xashyzan. N'en déplaise au Xalej ! »


Il avait accompagné ces propos d'un drôle de sourire, à la fois féroce et moqueur. Cette expression étrange n'échappa point à Wihfa qui, toujours tapie dans l'ombre du couloir, exultait. Elle pensait que les heures qu'elle avait passées à espionner les deux hommes portaient enfin leurs fruits. Elle grava dans sa mémoire les noms qu'ils avaient évoqués. Elle sentait qu'elle avait mis le doigt sur la raison du soudain engouement de Sihoq pour son ambitieux subordonné. La chance revenait tranquillement vers elle... Et elle était bien décidée à la saisir à pleines mains dès que celle-ci serait à proximité. Elle se retira en silence, afin de ne pas être surprise par Sihoq et Ywan qui, ayant fini leur entraînement, venaient dans sa direction.


Com Plëa - La légende de P. *En Pause*Où les histoires vivent. Découvrez maintenant