Maël se créait un chemin à travers la végétation avec une facilité déconcertante. Ayma peinait vraiment à le suivre. Elle courait presque derrière lui pour ne pas se laisser distancer. Pourtant, celui-ci portait Caân sur son dos... Il aurait dû ressentir le besoin de reposer son fardeau quelques instants. Cependant, Ayma avait plutôt l'impression qu'il accélérait la cadence. D'où pouvait-il bien tirer cette force ? Les branches et les feuillages, que Maël repoussait, reprenaient leur place au moment où Ayma s'engageait dans le chemin. Non seulement cela ralentissait davantage sa marche, mais ses jambes, ses bras et son visage commençaient à porter les marques de son combat inégal avec la forêt. Des écorchures lui zébraient la peau, laissant suinter parfois un peu de sang.
La jeune fille concentrait toutes ses forces dans cette fuite, si bien qu'elle ne réfléchissait pas à la bataille qui venait de se dérouler. Elle ne pensait à rien mais elle ne pouvait s'empêcher de sursauter dès qu'un animal laissait résonner son cri dans la nuit. Alors, un frisson courait le long de sa colonne vertébrale et elle hâtait le pas afin de rester le plus près possible de Maël.
Soudain les arbres semblèrent s'écarter d'eux-mêmes et les trois jeunes gens se retrouvèrent au pied d'une petite colline. Sans hésiter ni ralentir, Maël débuta l'ascension qui ne présentait, certes, aucune difficulté mais qui aurait dû lui poser problème étant donné qu'il portait toujours son ami. Ayma s'arrêta pour reprendre son souffle et observa, incrédule, son compagnon évoluer avec souplesse, avec même une certaine grâce, entre les rochers. Dès que sa surprise fut passée, elle reprit sa progression dans les rocailles desséchées. Elle arriva au sommet alors que Teratsu se réveillait. Il incendiait le ciel de sa splendeur vermeille et on aurait pu croire que le sang versé dans la lutte avait atteint les nuages et souillait les cieux.
Maël avait déposé Caân, toujours inerte, contre un autel qui avait été dressé à cet endroit certainement pour honorer les divinités sylvestres. Les deux colonnes de marbre blanc rougeoyaient sous les flammes de l'aube. Ayma contempla Maël sous cet éclairage sanglant... Il laissait éclater sa rage et hurlait d'incompréhensibles anathèmes face à l'astre naissant. Cet aspect de la personnalité du jeune homme la prenait totalement au dépourvu et elle n'aurait su dire si elle éprouvait de la peur ou de l'étonnement... peut-être était-ce un peu des deux. Elle réalisa avec horreur qu'il était entièrement recouvert de sang. Elle s'avança vers lui...
« Maël... commença-t-elle hésitante.
- Mais qui étaient ces hommes ? Pourquoi nous ont-ils attaqués ? vociféra-t-il.
- Je ne sais pas... Tu vas bien ? Tu es blessé ? »
La question d'Ayma apaisa Maël presque aussitôt. Toute sa colère l'abandonna. Il se tut et une immense tristesse se peignit sur son visage.
« Je n'ai pas été blessé, murmura-t-il, ce n'est pas mon sang... Je ne voulais pas, je t'assure que je ne voulais pas les tuer... J'ai eu peur pour vous... Je n'ai pas pu m'en empêcher... »
Il paraissait vouloir ajouter quelque chose mais il retint ses paroles. Il avait prononcé tout cela dans un murmure à peine audible et Ayma n'était pas certaine d'avoir compris le sens de ses mots. Cependant, elle était rassurée de savoir qu'il s'en était sorti indemne. Elle se tourna alors vers son cousin afin de vérifier son état. Caân était adossé à une des colonnes de l'autel et il avait l'air perdu dans son monde intérieur, comme si la réalité glissait sur sa peau sans le toucher réellement. Sur ses genoux s'étaient installés les deux t'chamas. Ils ronronnaient et frottaient leur tête contre les mains immobiles de Caân.
Une source claire jaillissait entre des rochers, non loin de l'autel. Maël s'en était approché et il avait entrepris de se débarrasser du sang séché qui collait à sa peau, qui raidissait ses cheveux. Il se frottait avec vigueur et s'aspergeait d'eau fraîche. Ayma, qui s'était assise à côté de son cousin, le regardait faire. Elle contemplait l'eau de la source qui se teintait de rouge puis serpentait entre les cailloux, tel un reptile aux écailles écarlates, avant de disparaître de son champ de vision. Elle ressentit alors une très grande fatigue. Ses paupières se fermaient malgré elle. Elle allait s'assoupir, quand Maël lui prit les poignets avec délicatesse.
Elle ouvrit aussitôt les yeux, surprise par ce contact physique. Il observait les blessures qu'elle s'était faite en essayant de s'agripper à l'arbre alors qu'elle tombait. La paume de ses mains était boursoufflée. De profondes griffures ensanglantées et recouvertes de saletés les rendaient méconnaissables. Ayma se rendit compte qu'elle avait occulté la douleur lancinante qu'elle éprouvait. Malheureusement, celle-ci se rappela à elle. Elle se mordit les lèvres pour ne pas crier lorsque Maël effleura sa main gauche du bout de ses doigts.
« Il faut nettoyer cette blessure avant qu'elle ne s'infecte davantage, dit-il doucement. »
Elle acquiesça et se laissa conduire jusqu'à la source. Maël nettoya ses plaies dans l'eau vive, tandis qu'Ayma essayait de retenir ses larmes. Elle réussit à ne laisser échapper que quelques faibles gémissements, seulement lorsque la douleur était trop aigüe. Une fois sa tâche accomplie, le jeune homme releva la tête et accrocha le regard d'Ayma dans le sien.
Il lui sourit.
Elle en eut le souffle coupé. C'était la première fois qu'elle voyait un vrai sourire se dessiner sur ses lèvres, un sourire si chaleureux qu'il semblait l'envelopper toute entière. Mais, le charme fut rompu par le réveil de Caân.
« Tout le monde va bien ? demanda-t-il d'une voix sourde. »
Son regard avait des difficultés à se fixer sur un point précis et paraissait encore sous l'emprise de brumes oniriques. Mais ses yeux se posèrent sur les mains meurtries d'Ayma et cela eut pour effet de le ramener brutalement à la réalité. Il se leva vite, trop vite sans doute, car sa tête tournait un peu et il tangua plus qu'il ne marcha vers sa cousine. Il s'agenouilla auprès d'elle et observa ses blessures avec attention. Puis, il saisit le t'chama tacheté qui se trouvait à ses pieds et lui fit sentir les plaies d'Ayma. Le petit animal renifla quelques secondes avant de commencer à lécher la main de la jeune fille. Sa petite langue râpeuse la chatouilla légèrement mais, très vite, elle ne ressentit plus aucune douleur.
« J'ai découvert que les t'chamas ont certaines particularités peu connues, expliqua Caân. La salive de ce petit mâle, par exemple, anesthésie la douleur et cicatrise les blessures. »
En effet, la paume de sa main droite n'était plus gonflée et les meurtrissures disparaissaient à vue d'œil. Ayma et Maël observaient le phénomène, muets d'étonnement. Dès que la main droite parut intacte, Caân présenta au petit félin la main gauche de sa cousine qui, ahurie, ouvrait et fermait son poing droit.
« Je n'ai plus mal ! s'étonna-t-elle. Toute la douleur a disparu ! Et je n'ai même pas de cicatrice !
- Vous voyez, dit Caân avec un sourire malicieux, je vous avais bien dit qu'ils pourraient nous être utiles. »
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Com Plëa - La légende de P. *En Pause*
FantasíaLe royaume de Com Plëa est une terre aimée des dieux... Mais si les divinités ont longtemps parcouru ses côtes rieuses et ses forêts mystérieuses, elles se sont finalement retirées de ce monde (enfin... c'est ce que pensent les hommes). Tous les ha...