Chapitre 33

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Le lendemain matin, Ayma eut un réveil étonnamment agréable. Éveillée par un bruit sur sa gauche, elle ouvrit les paupières et les referma aussitôt car la lumière du jour l'avait aveuglée. Elle mit alors quelques minutes à se réveiller tout à fait et à assimiler cette information : la lumière l'avait gênée !


La jeune fille fit une seconde tentative et son regard attrapa Teratsu qui semblait danser avec les nuages... Elle sourit et soutint son éclat jusqu'à ce que ses larmes lui brouillent la vue. Il y avait si longtemps qu'elle ne l'avait contemplé ! Le ciel s'était libéré de son manteau de nuages et la pluie avait enfin cessé.


Ayma s'étira avec volupté. Elle sentait les rayons de l'astre lui chatouiller agréablement la peau. Quelques nuages esseulés se perdaient encore dans l'azur et s'effilochaient déjà prêts à disparaître. La jeune fille se tourna ensuite vers son cousin et lui trouva meilleure mine : Avait-il passé une nuit reposante ou Teratsu lui insufflait-il son énergie ? Ces questions ne tourmentèrent pas Ayma bien longtemps... Cette journée s'annonçait radieuse et c'était tout ce dont nos voyageurs avaient besoin !


Ils avaient marché toute la matinée quand ils arrivèrent face à un tertre qui coupait la route. Ce monticule paraissait inviter les voyageurs à le gravir... De toute façon, ils n'avaient pas vraiment le choix. Ils devaient suivre cette route. Ayma jeta un coup d'œil anxieux à Caân. Elle se demandait s'il n'était pas trop faible pour grimper le petit chemin de pierres blanches, à moitié enseveli dans l'herbe, qui s'élevait à flanc de côte. Heureusement, son cousin paraissait reprendre peu à peu des forces.


Certes, il marchait lentement mais son pas était plus sûr. On aurait dit que le beau temps lui apportait un début de guérison et Ayma s'en réjouissait tellement qu'elle avait envie de sautiller et de danser pour exprimer son soulagement. Si elle se retint (à grand peine) de faire des bonds sur place, elle ne put réprimer un éclat de rire en pensant à l'expression de ses compagnons si elle se mettait à se trémousser sans raison dans la prairie. Après l'humeur morose qu'ils partageaient tous depuis plusieurs jours, ce rire clair, qui résonna dans le silence, les surprit. Ils se regardèrent ahuris, puis Solay partit d'un profond rire de gorge qui entraina celui de toute la petite troupe.


Au sommet de la butte, se dressait un autel laissé à l'abandon. Ses deux colonnes blanches s'élevaient avec fierté vers le ciel, malgré les mauvaises herbes qui proliféraient à leur base. Tandis que Caân s'asseyait par terre pour se reposer de cette ascension éprouvante, Ayma entreprit de leur préparer une collation sous la truffe attentive (et gourmande) des petits t'chamas. Solay, quant à elle, avait décidé de désherber la base de l'autel et elle avait entrainé son jumeau, résigné à lui obéir, dans cette entreprise. Une fois leur tâche accomplie, les deux jeunes disciples de Coctia rendirent grâce à leur déesse tutélaire en lui adressant leurs prières et en chantant des poèmes qui lui étaient dédiés.


Caân surprit le regard mélancolique que sa cousine leur lançait. Il comprit qu'elle était triste de ne pas savoir quel dieu prier. Il lui prit donc la main en lui demandant :


- Veux-tu venir prier Carstia avec moi ? Je me sens un peu fatigué...


Il laissa sa phrase en suspens car sa cousine avait retiré sa main et elle évitait son regard. Elle se mordait les lèvres avec violence pour ne pas pleurer. Par moment, elle se sentait si fragile, prête à se briser en morceaux sans qu'aucun dieu ne vole à son secours, ni même ne se préoccupe de son sort...

Elle était l'éternelle rejetée.

Quand elle sentit le goût métallique de son propre sang, elle ravala ses larmes et leva les yeux sur Caân. L'inquiétude qu'elle lut sur son visage lui donna l'impression de recevoir une gifle. Quelle égoïste elle pouvait être parfois ! Elle s'apitoyait sur elle-même alors qu'elle avait la chance d'être toujours soutenue par son cousin ! Sans oublier ses nouveaux amis qui l'acceptaient comme elle était sans jamais la mépriser... Solay, Siley et Maël. A la pensée du jeune homme, son cœur battit plus vite quelques instants et une douce chaleur l'envahit.


- Bien sûr, Caân, je vais t'accompagner, lui dit-elle dans un sourire.


Alors que leurs amis revenaient vers eux, Caân attrapa sa cousine par le bras et l'entraina vers l'autel. Mais la jeune fille se dégagea à quelques pas des colonnes blanches. Elle préférait rester en retrait. Elle ne voulait pas s'immiscer dans les prières de son cousin. Elle écoutait distraitement la douce mélopée qui s'échappait des lèvres du jeune homme, tout en laissant son esprit vagabonder...


Une douce brise s'emmêlait dans ses cheveux bruns et l'éclat de Teratsu était aveuglant au point qu'elle avait l'impression que le monde autour d'elle se teintait de nuances violettes... La belle voix grave de Caân, fil tenu avec la réalité, se faisait de plus en plus lointaine. Ayma perçut une chaleur, très différente de celle ressentie quelques instants auparavant à la pensée de Maël, qui l'enveloppa tout entière, presque avec amour... Elle eut l'impression qu'une présence invisible en était à l'origine et il lui sembla que quelqu'un avait posé une main amicale, une main protectrice sur son épaule. Alors elle la sentit de nouveau... Cette odeur ! L'odeur lancinante des pétales de woxes ! Elle s'empara d'elle, la submergea et la purifia de toutes ses peurs...


- Ayma ? Tu m'entends ? Ayma ?


Ce furent les appels insistants de son cousin qui la tirèrent brutalement de sa rêverie. La jeune fille sursauta. Elle regarda tout autour d'elle mais aucun arbre de woxes n'était visible. Pourtant, il flottait encore dans l'air la senteur presque imperceptible des fleurs sacrées...


- Ça va ? Tu avais l'air étrange... C'était comme si tu étais partie très loin d'ici, remarqua le jeune homme.


- Non, ne t'inquiète pas ! Je vais bien. Je crois que je rêvais juste les yeux grands ouverts...


Ils avaient rejoint leurs compagnons mais Ayma peinait à s'intéresser à la conversation. Elle était encore troublée par l'expérience qu'elle venait de vivre. Tout cela lui avait semblé trop réel pour être une simple rêverie... Un dieu essayait-il d'entrer en contact avec elle ? Ou bien la folie la gagnait-elle ? Elle secoua machinalement la tête pour échapper à cette pensée déplaisante et essaya de porter son attention sur ce que disait Siley.


- Nous ne sommes plus très loin d'Ajix. Si vous voulez mon avis, nous y serons cette nuit au plus tard. Nous devrions repartir dès que possible ! J'aimerais tellement dormir dans un bon lit bien chaud !


Ces paroles réconfortantes la ramenèrent tout à fait à la réalité. Elle allait enfin voir de ses propres yeux la capitale de Com' Plëa ! Et elle était également impatiente de mettre la main sur La légende de P. Toute cette excitation, qui enflammait ses veines, lui fit l'effet d'un coup de fouet. En moins de temps qu'il n'en faut pour le dire, elle était debout, rassemblait leurs affaires éparpillées et bousculait gentiment ses camarades afin qu'ils reprennent la route sans plus tarder...

Com Plëa - La légende de P. *En Pause*Où les histoires vivent. Découvrez maintenant