Caân et Ayma, assis sur l'herbe jaunie, partageaient les restes de gâteaux confectionnés par Cymaïa. Maël, quant à lui, faisait les cent pas, en se servant de leur position surélevée pour guetter l'arrivée d'éventuels ennemis. Ne détectant aucun signe de vie, il vint s'asseoir auprès de ses compagnons. Il semblait temporairement rassuré au sujet de leur sécurité. Les trois amis se mirent alors à parler de l'attaque qu'ils avaient subie la nuit même. Ils émettaient diverses hypothèses, assez fantaisistes pour la plupart. Caân paraissait soucieux, et il prit la parole alors que le silence s'était installé.
« Pour l'instant, nous ne savons pas qui ils étaient, ni même s'ils vont attaquer de nouveau. Mais... s'ils nous retrouvent, je ne pourrai pas les combattre. Cette nuit, j'ai pris la vie d'un homme... et c'est comme si une partie de moi était morte avec lui. »
Il se tut quelques secondes, comme s'il se perdait encore dans l'horreur de ce souvenir. Ses deux compagnons le fixaient, retenant presque leur souffle, attendant qu'il poursuive.
« Mon geste était nécessaire car il allait te tuer, reprit-il en s'adressant à sa cousine. Mais je ne pourrais pas le refaire, et cela même si ma vie en dépendait. Je suis un fidèle de Carstia et j'ai ressenti au plus profond de mon être que je devais respecter la vie. Je ne veux plus avoir à tuer... »
Sa voix faiblit et s'éteignit alors qu'il se laissait glisser dans ses pensées. Ayma, qui l'observait, se tourna vers Maël. Elle avait des questions à lui poser, mais elle ne savait pas comment aborder ce qui la préoccupait. Le jeune homme fuyait son regard, comme s'il avait deviné le dilemme de son amie. Finalement, ce fut Caân qui sortit brusquement de sa torpeur et qui le questionna.
« Mais j'y pense, comment as-tu fait pour te débarrasser tout seul de tous ces hommes ? Ils étaient une douzaine, au minimum ! s'exclama-t-il. »
Maël parut gêné par la remarque de son compagnon. Il fixait la terre poussiéreuse qu'il grattait avec le bout d'un bâton, dessinant des formes torturées et grotesques. Il essayait de gagner du temps, de retarder le plus possible le moment où il aurait à répondre, espérant peut-être que les deux autres reprendraient le cours de leur conversation.
Ce ne fut pas le cas.
Caân et Ayma attendaient patiemment qu'il leur donne une réponse, et ne paraissaient pas du tout avoir envie de changer de sujet. Il comprit qu'il devait leur fournir une explication, même si cela ne l'enchantait pas. Il se racla la gorge. Une lueur de défi dansa dans ses prunelles sombres et chevaucha ses mots quand il parla.
« Je vous ai menti, leur révéla-t-il. Je ne suis pas un disciple de Chacëor. Il y a quelques semaines, je suis venu subir mon Wjajy à Monas avec l'esprit serein. Dans ma famille, tous les hommes sont des disciples du dieu chasseur, et cela depuis des générations. Comme j'avais des prédispositions dans ce domaine, depuis ma plus tendre enfance, je pensais que le rituel n'était qu'une formalité à passer... »
Il marqua une pause, hésitant à continuer son histoire. Mais Caân et Ayma étaient suspendus à ses lèvres, alors il reprit son récit d'une voix teintée d'amertume.
« Comme vous vous en doutez, cela ne s'est pas déroulé comme je l'avais prévu. L'augure m'a révélé que j'étais un disciple de Murthjan. Je n'avais jamais entendu parler de ce dieu, alors le prêtre m'a expliqué qu'il était le dieu des assassins. Je ne pouvais pas le croire ! Je n'avais jamais tué personne et je n'en ressentais pas l'envie. J'étais écœuré et en colère ! Je lui ai demandé de refaire le rituel, mais il m'a répondu que ce n'était pas possible et que je devais suivre le chemin que les dieux avaient choisi pour moi. Mais tout mon être se rebellait, alors je suis resté quelques jours à errer dans les rues et les auberges de Monas. Je n'osais pas rentrer chez moi... Comment aurais-je pu avouer cela à mes parents ? Et, un beau jour, j'ai eu la chance d'entendre le récit d'un voyageur qui avait été accueilli dans le monastère de Xashyzan. Il expliquait que les moines possèdent une bibliothèque qui a la réputation de recéler tous les ouvrages écrits depuis que les dieux ont donné l'écriture aux hommes. Bien sûr, j'ai pensé qu'il exagérait... Néanmoins, il m'a semblé que si je voulais trouver des réponses, je devais me rendre dans ce lieu sacré. Je ne veux pas être un disciple de Murthjan ! J'espère vraiment que ces moines pourront m'aider... En tout cas, voilà pourquoi cela a été si facile pour moi de tuer tous nos agresseurs. C'est le don que les dieux m'ont offert. »
Il n'avait cessé de fixer ses compagnons alors qu'il parlait, pensant voir du dégoût et de la frayeur poindre sur leurs traits. Il fut étonné car ses amis avaient l'air, certes, assez surpris, mais surtout très tristes. Il pouvait presque sentir leur compassion lui réchauffer le cœur. Caân lui saisit la main et la pressa très fort tandis qu'Ayma, qui s'était approchée, le prit dans ses bras et le serra contre elle. Alors l'armure émotionnelle, qu'il avait revêtue pour survivre à la révélation de ce don macabre, se fissura tout doucement... Il laissa couler ses larmes et ses amis le consolèrent du mieux qu'ils le purent.
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Com Plëa - La légende de P. *En Pause*
FantasyLe royaume de Com Plëa est une terre aimée des dieux... Mais si les divinités ont longtemps parcouru ses côtes rieuses et ses forêts mystérieuses, elles se sont finalement retirées de ce monde (enfin... c'est ce que pensent les hommes). Tous les ha...