Chapitre 27

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Les jours qui suivirent se déroulèrent dans l'effervescence des préparatifs du voyage, si bien que la veille du départ arriva sans crier gare dans l'euphorie ambiante. Tandis que le crépuscule inondait la cité de sa chaude lumière, Ayma se dirigeait vers le belvédère aux kargodasys où Maël lui avait donné rendez-vous. Cet endroit était devenu le lieu privilégié de leurs rencontres. La jeune fille se laissa envahir par une légère nostalgie en pensant à quel point la forteresse allait lui manquer. Tout en cheminant, elle fut frappée par une évidence : Elle n'avait presque pas vu Maël ces derniers jours... comme si ce dernier l'évitait. Elle chassa ses inquiétudes en franchissant l'entrée du jardin.


Il se tenait à l'extrémité de la terrasse et offrait son visage aux derniers rayons de Teratsu qui enflammaient le verger, transformant les kargodasys en torches végétales. Au milieu de cet embrasement, la silhouette sombre de Maël ressemblait à une apparition. Sentant la présence d'Ayma, il se retourna et la jeune fille eut l'impression que son cœur se serrait davantage dans sa poitrine. La beauté de Maël s'épanouissait, prenant ses racines dans la douce mélancolie qui s'était emparée de lui.


Il la regardait s'approcher. Il gardait le silence et la gravité qui avait pris possession de ses traits ne faisait qu'en exacerber la perfection. Ayma était très heureuse que la rougeur qui avait gagné ses pommettes soit dissimulée par l'éclat de l'astre déclinant.


Arrivée à sa hauteur, elle resta muette et attendit que son compagnon prenne la parole. Elle avait lu sur son visage l'importance de ce qu'il avait à lui dire. Ses mots flottaient presque déjà entre eux... Mais elle attendait que sa voix les rende inéluctables. Tout en gardant son regard accroché à celui de la jeune fille, Maël prononça les paroles qu'elle redoutait d'entendre.


Il ne partait pas avec eux.


Il lui expliqua qu'il avait besoin de rester au sanctuaire pour trouver la paix et accepter son don. Il se sentait mieux depuis que Rajyk était devenu son guide et il savait au plus profond de lui-même qu'il n'avait pas achevé ce pourquoi il était venu. Son temps à la forteresse n'était pas terminé. Il devait se séparer à contrecœur de ses amis.


Ayma était sous l'emprise d'une profonde tristesse. Elle n'arrivait pas à réagir, comme si une léthargie glaciale s'était emparée de ses membres. Elle aurait voulu s'allonger dans l'herbe et se recroqueviller sous la douleur qu'il lui infligeait. Elle dit la première chose qui lui traversa l'esprit.


- Mais tu avais promis de nous protéger du danger...


Elle sentit que sa voix tremblait comme celle d'une enfant et elle en eut honte. Ce sentiment fut décuplé quand elle vit la culpabilité envahir le visage de son ami. Cela, plus qu'autre chose, la fit sortir de cette étrange apathie que le choc de la nouvelle avait provoquée. Elle trouva la force de rire, même si ce rire sonnait faux à ses oreilles.


- Je plaisantais, Maël, je suis tout à fait capable de me défendre et de protéger les autres. Tu as toi-même reconnu que tu n'avais plus rien à m'apprendre et que mes flèches étaient aussi efficaces que les tiennes, ajouta-t-elle.


Le ton badin qu'elle affectait n'était pas très convaincant mais il avait l'avantage de sauver les apparences. Maël n'était pas dupe... Il ramassa le grand arc noir qui se trouvait à ses pieds et le tendit à Ayma. Celle-ci le prit sans comprendre. Il s'agissait de l'arc que Maël lui avait prêté dans la forêt. Elle lui avait rendu dès qu'ils avaient enfin été en sécurité, à l'abri des remparts de la ville. Elle comprit soudain qu'il le lui confiait. Elle regarda cette arme magnifique dont les inscriptions argentées flamboyaient sous la lumière crépusculaire et la tendit à son ami dans un geste de refus.


- Non, je ne peux pas accepter. Garde cet arc, il est à toi et je ne sais pas quand je pourrai te le rendre... Et puis, j'en ai déjà acheté un au marché de la ville basse. Il n'est pas aussi beau que le tien mais il fera l'affaire !


Maël refusa de reprendre son arme. Il lui dit qu'il serait plus rassuré s'il savait qu'elle avait un arc solide et fiable avec elle. Il était certain que leurs chemins se recroiseraient un jour... Il ajouta, en baissant la voix, que cet arc était une partie de lui-même qu'elle transporterait avec elle comme s'il était encore là pour la protéger...


Ayma abaissa sa main. Un long silence flottait entre eux... Il fit un pas vers elle mais s'arrêta, indécis. Ils étaient au bord du précipice des possibles, chacun désirait s'approcher tout en ayant peur des conséquences. Ayma fixait les lèvres du jeune homme... elles avaient l'air si douces. Elle se demandait ce qu'elle ressentirait en les embrassant. Cette pensée avait à peine traversé son esprit qu'elle la chassa aussitôt. Non, c'était impossible, elle ne pouvait pas l'embrasser. S'ils franchissaient ce pas entre eux, elle sentait qu'elle n'aurait plus la force de repartir, de le quitter... Or, elle devait partir ! Rien n'était plus important !


Il arrive que les regards soient plus éloquents que les mots et dialoguent en silence. Maël était troublé par les mêmes pensées. Il avait peur de ne pas avoir le courage de la laisser partir sans lui. Il désirait tellement la suivre ! Mais il savait aussi que son mal-être réapparaitrait s'il ne restait pas au monastère. Il essayait de se consoler en se disant qu'il la rejoindrait dès qu'il aurait trouvé sa place... Mais tout cela semblait si incertain. Brusquement, il la prit dans ses bras, la serra très fort contre lui et lui murmura à l'oreille d'une voix rendue rauque par l'émotion :


- Ce n'est pas un adieu ! Je te retrouverai dès que je le pourrai. Fais bien attention à toi !


Puis, il la relâcha et tourna aussitôt les talons, s'éloignant d'un pas rapide. Elle le regardait s'en aller, bridant son envie de lui courir après et de lui crier qu'elle ne partait plus, qu'elle restait avec lui... Elle refoula ses larmes et décida qu'elle ne pouvait pas se permettre de se laisser aller à sa tristesse... Elle le reverrait ! Elle ne savait pas où ni quand, mais elle le reverrait...


Des adieux autrement plus difficiles l'attendaient.

Com Plëa - La légende de P. *En Pause*Où les histoires vivent. Découvrez maintenant