Chapitre 20

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Alors qu'ils cheminaient dans les rues sinueuses de la forteresse, Ayma prenait plaisir à contempler la pureté du ciel étoilé. La fraîcheur de la nuit était supportable, presque légère, et la jeune fille se laissait aller à la sensation merveilleuse de se sentir en sécurité, protégée par les épaisses murailles de l'antique citadelle.


Tandis qu'ils remontaient la rue des iwalos, une délicieuse odeur vint leur titiller les narines. Ayma sentit son estomac se tordre et lui rappeler qu'elle n'avait pas fait de repas digne de ce nom depuis fort longtemps. La vision de sa tante penchée sur ses fourneaux s'imposa à elle... Sa gorge se noua, des larmes se glissèrent sous ses paupières entrouvertes si bien qu'elle chassa rapidement cette image qui la rendait si nostalgique.


Ayma n'était pas la seule à être charmée par cette odeur alléchante : deux petits museaux émergèrent du sac que portait Caân et se mirent à humer l'air nocturne. L'instant d'après, les deux petits t'chamas étaient perchés sur les épaules du jeune homme.


« Je crois qu'ils ont faim, remarqua Ayma, amusée.


- Oh ! Tu possèdes des hamyts. Ils sont vraiment minuscules ! observa Siley. »


Les trois amis se gardèrent bien de le détromper. En effet, peu de personnes pouvaient se vanter d'avoir déjà vu un t'chama. Ces animaux mystérieux, de par leur rareté, étaient devenus l'objet d'une grande convoitise. Mieux valait que les gens pensent qu'il s'agissait de simples hamyts qu'on pouvait trouver en train de ronronner au coin du feu dans la plupart des foyers du royaume.


Ils s'arrêtèrent devant une auberge qui avait l'air accueillante. Son enseigne montrait aux passants un visage souriant avec au-dessus, écrit en lettres dorées, le nom de l'établissement :

« Au Voyageur Apaisé »

Ayma se rendit compte que l'odeur qui la faisait saliver provenait de cet endroit. Siley poussa la porte en riant, aussitôt suivi de ses trois compagnons affamés. Alors qu'ils faisaient quelques pas à l'intérieur, une tornade leur fonça dessus : une jeune fille rousse se mit à crier sur Siley, ponctuant ses phrases de coups de poing sur son épaule :


« Encore une fois, tu traînes dehors jusqu'à ce que la nuit tombe et tu me laisses tout le travail ! Bon à rien ! J'ai dû préparer le repas de ce soir toute seule... »


Elle continua sur le même registre pendant de longues minutes. Siley n'arrivait pas à placer un seul mot, elle ne lui en laissait pas le temps. Il restait bouche ouverte, avec un air résigné, en attendant que l'orage se calme. Les clients de l'auberge regardaient la scène avec un amusement non dissimulé : il semblait évident que ce n'était pas la première altercation entre Siley et la jeune femme à laquelle ils assistaient. Finalement, le flot de reproches se tarit et les conversations des habitués purent reprendre leur cours. Alors Siley, se tournant vers ses nouveaux camarades, leur dit :


« Je vous présente Solay, ma douce sœur jumelle. »


Son ton narquois n'eut pas l'air de plaire à sa sœur qui lui lança une œillade furieuse. Elle s'approcha des trois amis et son expression changea du tout au tout : elle rayonnait ! Sa chevelure de feu cascadait sur ses épaules et encadrait un visage à l'air mutin. Contrairement à son frère qui avait un physique très quelconque, Solay, elle, était le charme personnifié.


« Je suis enchantée de faire votre connaissance, leur dit-elle dans un sourire. Si vous avez faim, il reste du kosiz »


Elle avait surpris les regards avides que les jeunes gens posaient sur les plats encore fumants. Ils s'assirent donc tous autour d'une table encore libre et le reste de la soirée se déroula dans une atmosphère de franche camaraderie. Quand Solay riait, ses mèches rousses projetaient des éclats de lumière autour d'elle. La joie reprenait peu à peu possession du cœur d'Ayma qui se sentait en sécurité, entourée d'amis, dans cette auberge chaleureuse.


Les plats de Solay fondaient sur la langue et répandaient des saveurs délicieuses sur le palais des adolescents. Les deux petits t'chamas ronronnaient de plaisir sur les genoux de Caân qui arborait un sourire béat (heureusement pour lui, le kosiz ne contenait pas de viande et était composé essentiellement de fromages) et paraissait sur le point de s'endormir assis sur sa chaise.

Ayma souriait.

Et les ténèbres qui avaient envahi son âme, au point de s'imprimer sur les traits de son visage, s'étaient un peu évaporées... Elle souriait comme elle avait l'habitude de le faire avant ce funeste Wjajy qui lui avait volé son innocence.


Solay leur racontait que son frère et elle étaient venus au sanctuaire avant d'améliorer leur don de disciples de Coctia en faisant des recherches dans la grande bibliothèque du monastère. Elle espérait ainsi déterrer dans ses rayons d'anciennes recettes oubliées qu'elle pourrait remettre au goût du jour. Peut-être tomberait-elle sur un livre de recettes que les dieux avaient oublié en se retirant du monde des hommes. En disant cela, elle explosa d'un rire communicatif.


Charmée par ses paroles, Ayma ne remarquait pas que Maël ne la quittait pas des yeux et semblait bien plus captivé par la joie retrouvée de la jeune fille que par les plaisanteries échangées dans cette salle si accueillante. Il la fixait comme s'il voulait imprimer au plus profond de lui chaque détail de sa personne : la courbe de sa joue, la veine qui battait sur sa gorge, les lueurs changeantes de ses yeux, l'arrondi de sa lèvre... La fin de la soirée s'évapora comme un rêve... Sous le regard de Maël, une seule personne riait.


Com Plëa - La légende de P. *En Pause*Où les histoires vivent. Découvrez maintenant