Chapitre 14

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Le gibier s'était enfui. Il avait senti leur approche.


Ayma le poursuivait à travers la forêt... Elle courait à en perdre le souffle, elle courait à s'en faire exploser le cœur. Elle percevait, plus qu'elle ne voyait, une ombre se faufiler entre les arbres : Maël chassait à ses côtés. La lumière se faufilait à travers les branches et les feuillages, mais Ayma n'avait pas le temps de sentir sa chaleur sur sa peau. Elle courait.


Le sol semblait avancer tout seul sous ses pieds. Son sang circulait, tel un animal sauvage dans ses veines, les battements de son cœur cognaient à l'intérieur de son crâne. Mais elle courait. Après des jours de précautions et de contraintes, elle se sentait libre de nouveau. Elle accéléra encore, enivrée par cette sensation de liberté qui lui déliait les jambes.


Elle s'arrêta soudain derrière un arbre millénaire. A partir de cet endroit, le sol s'inclinait en un dénivelé de plusieurs mètres. La jeune fille avait donc une parfaite vue plongeante sur sa cible en mouvement. Elle banda son arc et allait tirer... elle sentit une main sur son épaule qui l'arrêta. Elle se retourna et vit Maël qui s'était approché d'elle sans qu'elle ne s'en rende compte. Elle était sur le point de lui dire que par sa faute, elle avait manqué une opportunité de ramener de la viande fraîche pour leur repas du soir, quand le jeune homme lui fit signe de se taire...



L'homme à la capuche était satisfait. Après l'échec cuisant, infligé par les trois adolescents, il avait échafaudé plusieurs plans et engagé d'autres membres de Sibren. Il s'était persuadé que le massacre de ses précédents hommes n'était pas dû à la folie meurtrière du jeune homme brun, mais plutôt à leur manque de préparation. Il frissonna malgré lui... cela faisait plusieurs jours qu'il essayait de s'en convaincre. Bien qu'un soupçon de frayeur demeurait au fond de son esprit, il savait que ses nouveaux compagnons étaient prêts au combat. Il s'était positionné en retrait de nouveau, afin de pouvoir observer la scène sans être vu. Le piège était en place.


Les arbres de cette partie de la forêt étaient si larges et si robustes que des hommes pouvaient se dissimuler complètement derrière leur tronc. La lame de leurs épées dénudées, ils attendaient patiemment les trois jeunes gens. Ils les prendraient par surprise.

Ayour regarda son ami Maawy qui s'agitait. Il gigotait, se balançait d'un pied sur l'autre... La patience n'avait jamais été son point fort. Il devenait nerveux. Ayour sentit que ses mains étaient de plus en plus moites : lui aussi désirait que le combat commence. Il examinait une goutte de sueur qui glissait sur la tempe de son frère d'arme. Maawy lui fit un clin d'œil et... son sang éclaboussa Ayour qui vit un poignard transpercer la gorge de son ami. Un jeune homme brun tenait d'une main ferme cette arme. Aucune émotion ne se lisait sur ses traits impassibles. Le soldat de Sibren croisa son regard froid, mais il n'eut pas le temps de faire le moindre mouvement car Maël l'éventra avec l'épée de l'homme qu'il venait de poignarder.


De nombreux hommes étaient déjà tombés sous les coups précis du jeune homme, quand les survivants donnèrent le signal : certains d'entre eux, cachés dans les arbres, jetèrent un filet sur Maël qui ne parvint pas à l'esquiver. Ils le soulevèrent du sol et commencèrent à le hisser grâce à un système de poulies installé au préalable. Maël avait beau se débattre, il n'arrivait pas à s'échapper. Les soldats l'insultaient et se moquaient de lui. Ils riaient, non sans jeter de brefs regards à leurs compagnons défunts... Le rire repousse la terreur et c'était ce genre de rire nerveux qui sortait de leur gorge. Un grand roux, plus hardi que les autres, interpella ses compagnons :


« Allez, maintenant au tour des deux autres ! On a eu le plus coriace, les autres vont pleurer comme des fillettes quand je... »


Il n'eut pas l'occasion de finir sa phrase. Une flèche mortelle le frappa entre les yeux. Ayma n'avait pas quitté son promontoire, elle avait regardé le début de la bataille, fascinée par les déplacements et les mouvements de Maël. Elle avait eu l'impression de le voir danser... une danse macabre, certes, mais captivante. Sa deuxième flèche rompit la corde qui le maintenait suspendu. Sa troisième se planta dans la poitrine d'un de leurs ennemis... La jeune fille cessa de tirer dès que Maël se fut relevé : il évoluait si rapidement qu'elle avait peur de le blesser par mégarde.


Il neutralisa sans tarder les hommes qui restaient. Cependant, il laissa la vie sauve au dernier d'entre eux. Il tenait une épée posée sur sa gorge et il l'interrogeait. Ayma courut le rejoindre afin d'entendre ce que l'homme allait dire. Ce dernier était agenouillé, le souffle court, le regard fou de terreur. Quand Maël prit la parole, sa voix était calme mais ferme :


« Qui êtes-vous et pourquoi nous avez-vous attaqués ?

- Vous... vous... vous êtes un ijos, haleta-t-il. »


Maël fut pris au dépourvu par cette remarque. Cet homme pensait-il réellement qu'il était une des créatures au service du dieu des Morts ? Il baissa sa garde un instant que l'homme mit à profit pour sortir une arme cachée dans sa botte. Ayma n'eut pas le temps d'avertir son ami... L'homme avait agi. Il s'était enfoncé son propre poignard dans le ventre afin d'échapper à leur interrogatoire... ou peut-être à cet inquiétant jeune homme qu'il prenait pour un ijos. La jeune fille se pencha sur l'homme qui agonisait. Ses larmes tombèrent l'une après l'autre sur son visage. Elle le supplia de lui dire le nom de ceux qui leur voulait du mal. Pourquoi s'acharnait-on sur eux ? Elle lui prit la main. Au contact de cette main chaude, l'homme sourit une dernière fois, puis rendit son dernier souffle. Un filet de sang vermeil coulait à la commissure de ses lèvres.


Ayma, tremblante, se releva. Elle se sentait vaguement nauséeuse. Lors du massacre nocturne, elle avait eu l'impression d'être attaquée par des monstres... Mais sous son regard, les rayons de Teratsu glissaient sur les cadavres encore tièdes d'êtres humains. Elle avait vu la peur dans leurs yeux, elle avait senti la vie s'enfuir alors qu'elle serrait la main de cet homme. Elle voulait crier, mais aucun son ne sortait de ses lèvres... En cet instant, elle comprenait le pacifisme de son cousin et le dégoût que Maël ressentait pour son don. L'horreur lui comprimait la poitrine.


Derrière elle, Maël s'approcha et la serra dans ses bras. La jeune fille se détendit à son contact. Ils se procurèrent mutuellement un peu de réconfort et de chaleur humaine. Ils restèrent ainsi, immobiles, quelques instants. Puis, Ayma se dégagea avec douceur et regarda Maël droit dans les yeux. Son regard exprimait une force et une détermination inébranlables.


« Maël, nous allons enterrer ses hommes. Même si nous devons y passer la journée, même si ce sont nos ennemis, nous allons leur donner une sépulture. »


Le jeune homme acquiesça en silence. Puis, les deux adolescents commencèrent leur tâche funéraire.




L'homme à la capuche se félicitait de s'être tenu éloigné de la bataille. Il avait pu prendre la fuite en toute discrétion, encore une fois. Il galopait à bride abattue afin de mettre le plus de distance possible entre ces jeunes gens terrifiants et lui. Il avait compris qu'il ne réussirait pas à accomplir sa mission... Même une vingtaine de guerriers endurcis ne pouvaient venir à bout de ces deux jeunes gens. Il se demanda ce qu'était devenu le troisième adolescent, absent du champ de bataille. Mais il décida assez vite que ce n'était pas sa priorité : il devait se concentrer sur la façon dont il allait rendre compte de sa tâche à Sibren. Il fallait que son échec ne soit pas perçu comme tel... Il pensa mettre en avant les informations qu'il rapportait sur ces adolescents. Les capacités exceptionnelles, presque surnaturelles, du garçon brun devraient intéresser ses supérieurs... L'homme à la capuche n'était pas inquiet : il avait plusieurs semaines de voyage durant lesquelles il peaufinerait le discours destiné à ses chefs.



Com Plëa - La légende de P. *En Pause*Où les histoires vivent. Découvrez maintenant