Dirigée par le courant mousseux d'un ruisseau boueux, une fleur mauve dérivait en virevoltant. Ywan suivit des yeux les pétales fragiles de la kwasiuf et jeta une nouvelle fleur dans l'eau. Il était appuyé contre la rambarde d'un vieux pont en bois délavé, qui enjambait ce mince cours d'eau serpentant dans les ruelles de la cité. Ses cheveux avaient poussé depuis qu'il avait quitté Monas car il avait renoncé à se raser le crâne comme les disciples de Cognaa ont coutume de le faire. Ils étaient hirsutes et aussi noirs que la barbe de trois jours qui ombrait ses joues, soulignant ses traits anguleux.
Perdu dans ses pensées, perdu, perdu dans le flux de ces images qui traversaient son esprit tourmenté, Ywan regardait les fleurs d'un air absent... Le visage d'Ayma revenait sans cesse. Le jeune homme secoua la tête, espérant par ce procédé naïf chasser ces visions qui le hantaient.
Il étouffa un bâillement. Il dormait mal depuis quelques nuits... depuis qu'il avait assassiné le messager qui leur avait apporté des nouvelles d'Ayma et de ses compagnons. Chaque nuit, il rêvait... Et il se réveillait de nombreuses fois, troublé par ces rêves étranges. Il n'en avait compris que récemment l'origine.
Son premier rêve, il l'avait fait la nuit où il avait assassiné le messager venu de Monas. Il avait appliqué sans état d'âme l'ordre silencieux de Sihoq. Alors qu'il se promenait avec cet homme dans les ruelles sinueuses d'Ijaïh, il l'avait entrainé, sous un prétexte fallacieux, près du vieux port. Là, dans la brume nauséabonde qui s'enroulait autour d'eux, il l'avait égorgé et il avait jeté son cadavre dans les eaux sales, comme on se débarrasserait des restes de son repas... Il n'avait rien ressenti : ni dégoût, ni joie, ni honte, ni peine... rien.
Mais quelques heures plus tard, dans la moiteur nocturne de sa chambre, il s'était réveillé en sueur, son cœur battant la chamade. Son esprit confus avait mis quelques instants à se souvenir de son identité. Un rêve troublant se répétait sans cesse dans sa tête et, chose étrange, il avait l'impression qu'il ne s'agissait pas d'un véritable rêve : il lui semblait qu'il avait réellement vécu chacun des événements dont il se rappelait le moindre détail.
Dans ce songe, il se trouvait dans une forêt. Son cheval avançait lentement, le bruit de ses pas étouffé par l'herbe, et le jeune augure pouvait apercevoir Tsuki briller à travers les branchages. Un sentiment d'excitation le parcourait alors qu'il se cachait derrière des arbres plus épais. Il attendait, confiant... mais rien ne se passa comme prévu. Les hommes qu'il avait engagés furent massacrés par un jeune homme brun. Mais était-ce vraiment un homme ? Ses mouvements étaient si vifs qu'on pouvait à peine les suivre des yeux et sa force si brutale qu'on aurait cru qu'un dieu était venu parmi les hommes et s'amusait à leurs dépens. Il frissonna quand Tsuki éclaira le visage du jeune guerrier : celui-ci souriait. Il prenait du plaisir à commettre ce massacre. Alors une peur sans nom s'empara d'Ywan, il voulut prendre la fuite mais ses jambes refusèrent de bouger. Il essaya de se fondre encore davantage dans la végétation... L'odeur âcre du sang imprégnait l'air nocturne. Puis le calme revint. La jeune fille et ses deux compagnons s'enfuirent, le guerrier portant sur son dos le deuxième jeune homme.
C'était à ce moment-là qu'Ywan s'était réveillé, le visage de la jeune fille comme marqué au fer rouge dans son âme.
Ayma.
C'était elle, il en était sûr... Quant aux deux garçons, il devait s'agir de son cousin et du jeune homme au don obscur dont leur avait parlé le messager. Ywan pensa que ce cauchemar était dû au récit de celui-ci. Après tout, il leur avait fait son rapport plus tôt dans la soirée et il était normal que cela ait influencé ses songes. Rassuré, il s'était rendormi.
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Com Plëa - La légende de P. *En Pause*
ФэнтезиLe royaume de Com Plëa est une terre aimée des dieux... Mais si les divinités ont longtemps parcouru ses côtes rieuses et ses forêts mystérieuses, elles se sont finalement retirées de ce monde (enfin... c'est ce que pensent les hommes). Tous les ha...