Chapitre 5

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POV Ali


Connor a été très gentil avec moi toute la soirée. Une gentillesse différente de celle de Tessa mais pas moins agréable. Je me suis surprise à apprécier leur monde. J'aurais pu...non. J'aurais dû devenir comme eux. Quelqu'un de normal dont le seul souci est de s'amuser et de passer le trimestre avec ses amis. Les numéros se remettent à danser devant mes yeux et je les chasse. Je ne chante pas. Ils m'y ont encouragés mais mon refus obstiné a eu raison d'eux.

Je les regarde vivre. Boire. Chanter. Rire. Danser. Sauter. Mon cœur n'y est plus et je finis par m'éclipser sans que personne ne me remarque. Ce n'est pas comme si j'allais leur manquer. 

Dehors, le ciel se couvre. La nuit tombe. Dans le chemin du retour, je sombre dans mes pensées les plus maussades, jouant avec le briquet. Je l'allume, fascinée par la flamme. J'arrête tandis que je pénètre dans le centre-ville, animé à cette heure-ci. Les gens vont et viennent dans un kaléidoscope urbain à en donner le tournis et mes yeux s'accrochent aux bandes blanches des passages piétons qui m'indiquent la bonne direction.

En passant devant un bar, un corps balancé dans les airs, passe sous mon nez et je me fige. Il atterrit dans les gros sacs poubelles et bouscule un clochard qui beugle de colère. Avec un grognement, il se remet péniblement debout. Je suis figée par ce spectacle d'ivrogne. Les passants s'écartent vivement, les mines gênées et exaspérées. Des bruits de verres brisés me font sursauter et un coup d'œil alarmé à l'intérieur me montrent une bagarre entre hommes. Un seul contre cinq. L'ivrogne me bouscule pour rentrer et ce contact me révulse. Je passe vite mon chemin, sourde aux protestations du propriétaire. 

Chacun ses problèmes. Ville de merde.

Les traits tendus, je rentre à la maison. Heureusement que j'avais déjà fait les courses hier, je n'aurais pas été d'humeur à aller au supermarché. Le son familier de la télé allumée sort du salon et je vais voir à pas de loups pour constater que mon père est affalé sur la table basse, la tête posée sur ses bras croisés, un ronflement sort de sa poitrine. Je n'ai pas envie de le réveiller. Mais a-t-il mangé au moins ?

Une main sur son épaule, je le secoue en douceur. Il sursaute et lève la tête vers moi. Ses yeux s'écarquillent d'émerveillement et je sourcille.

- Tu es rentrée ! Je savais que tu rentrerais !

Oh non.

Il me prend pour maman.

Il a les pupilles dilatées et ne me voit pas. J'ouvre la bouche mais les mots restent coincés dans ma gorge. Je ne sais plus quoi lui dire. M'énerver contre lui ne m'apporterait à rien.

- Tu as faim ?

- Tu ne pouvais pas me laisser seul hein ? Après tout, je suis l'homme de ta vie ! Tu es un amour. Mais oui j'ai faim !

Je m'empresse de disparaître dans la cuisine même si je sens son regard me suivre. Serrant les dents, j'ouvre le frigo et prends ce qu'il y a sans y jeter un coup d'œil. Je prépare à manger et le couteau dans la main, je coupe et coupe et coupe. Je tombe en transe et je repense à maman.

Ses bras autour de moi alors qu'elle pleurait, me faisant pleurer en conséquence. Nous étions juste assises là, dos au petit placard près du four cassé. Mes yeux étaient embués mais ils étaient fixés avec horreur sur la plaie sur son avant-bras. Une coupure de couteau, rouge et grande.

Chassant ce souvenir, je repose le couteau de cuisine, le lave et le range dans le tiroir parmi les autres que je ferme à clé. Vingt minutes après, je lui sers son repas mais il m'a déjà oublié, toute son attention portée sur la télé. Un dessin animé avec des dinosaures de toutes les couleurs dedans.

- Papa, je l'interpelle. Le dîner est prêt.

Pas de réponse, il me tourne le dos, comme s'il était fâché contre moi. Je l'interpelle une nouvelle fois. Sa réponse fuse aussitôt.

- J'ai pas faim. Tu as mis trop de temps.

Est-ce qu'il boude ? Je serre les dents jusqu'à les faire grincer. Il ne me confond plus avec maman, c'est déjà ça. Sans toucher à quoi que ce soit, je quitte le salon et me cache dans la cuisine pour manger un petit bout. Après cinq minutes, j'entends le son d'une fourchette qu'on tape contre une assiette.

J'attends en silence, l'écoutant manger, fixant le carrelage avec patience. La vieille horloge en porcelaine accrochée au mur montre 8 heures 56. Son style me fait penser à celle de Big Ben, même si je ne l'ai vu qu'en photo. Les aiguilles sont aussi belles. Je croise les jambes, les décroise. Les minutes passent.

J'entends un ronflement et je me décroche du comptoir pour aller débarrasser. Il a tout mangé. Je n'ai plus qu'à faire la vaisselle, prendre une rapide douche et faire mes devoirs. Il est 9 heures 20.

Il est 10 heures 45 quand je tape mon front contre mon manuel de mathématiques. Les chiffres me hantent déjà assez, je n'ai pas besoin d'autres problèmes à résoudre. Malheureuse, je tourne la tête sur le côté, la joue écrasée et lève un œil sur le calendrier. Bientôt les examens et après ça les vacances. Ça ne me réjouit en rien. Je vais rater les premiers et m'ennuyer aux seconds.

Ma main vient fouiller dans la poche de mon gilet et en sort mon briquet. Je fixe la flamme assez longtemps pour me laisser le pouce noir. J'ai une envie incoercible de tout cramer. Quand je réalise ce que je fais, il est trop tard. La page d'énoncés est en train de brûler à une vitesse hallucinante. Paniquée, je lâche le briquet et je ferme le manuel à deux mains à toute puissance. Les flammes s'étouffent et quand je le rouvre, la page forme un drôle d'arc, si on peut appeler ça une page. Ce n'est plus qu'un bout calciné avec la moitié d'un énoncé à peine lisible.

Je me mords la lèvre. Comment je vais expliquer ça à mon prof de maths ? Quelle fichue coïncidence que c'est cette page qui ai brûlée et pas les autres n'est-ce pas ? urgh. C'est si simple de régler ses problèmes de mathématiques ! Il suffit de les brûler, je vous jure ! Un sourire hystérique me brûle les lèvres et je rejette la tête en arrière pour laisser libre court à une hilarité étrange. Mon fou rire silencieux finit par s'éteindre. Je fixe le manuel. Tant pis. Le mal est fait.

Je prends mon portable et écoute les différentes sonneries à un son minimal. J'aurais pu demander à Tessa ou Connor leurs numéros de portables, ça m'aurait rempli mon carnet d'adresse. Aussitôt cette pensée traverse mon esprit que j'en réalise l'absurdité. C'est quoi cette confidence tout à coup ? Ça ne te va pas Ali.

Je pars me coucher dans un sommeil noir.

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À Bout de Souffle [Terminé]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant