Chapitre 54

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Ishan

Le bruit d'une vaisselle qui se renverse me vrille les tympans et je redresse la nuque, mon épi en direction de la cuisine. C'est de là que j'entends un « merde, merde, merde » parvenir.

Michelle.

Toutes les tensions dans mes épaules retombent. J'ai cru à une effraction. Les stores qui me servent de volets laissent filtrer des rayures dorées sur la silhouette d'Ali sous mon bras. C'est un miracle qu'elle ne soit pas tombée du divan. Ma main est glissée sous sa chemise pour empaumer son sein gauche.

Pas dans un geste sexuel ni affectif. Mais un geste d'angoisse. Pour sentir en-dessous son pouls battre au creux de ma paume comme si son rythme cardiaque était un rappel à la vie organique, à la réalité crue de mon existence. Ça m'empêche aussi bien de sombrer que de rêver. Un entre-deux équitable.

J'ai une mèche de ses cheveux qui colle à ma lèvre et je l'enlève machinalement.

Je me redresse lentement pour ne pas accentuer le mal de dos que m'inflige ce cuir chaque nuit depuis quinze putain de jours. Puis je passe une jambe par-dessus le dossier et laisse mon poids glisser vers le sol. À cloche-pied, j'extrais mon corps de la couverture qui me drape avant de reprendre mon équilibre.

― Salut, dit-elle alors que je pénètre dans la cuisine. Attention à où tu marches.

Dans le pyjama rose prêté par Ali, elle est accroupie, le menton sur son genou plié, à ramasser du Nutella à même le carrelage avec une cuillère à soupe. Avant qu'elle ne le porte à sa bouche, je donne un coup de pied dans son poignet. De justesse. Le couvert tinte contre le placard lui laissant une tâche brune bien dégueulasse avant de retomber bruyamment au sol.

― Hé !s'écrie-t-elle indignée en relevant ses cils vers moi. 

― Jette, j'ordonne sans m'excuser. Y a des bouts de verre.

― Mais j'ai fait attention...

― Je m'en fous.

En poussant un soupir énervé elle se lève pour prendre un sac plastique. Je plisse les yeux face à ses pieds nus. Cette inconsciente.

― Bonjour à toi aussi, marmonne-t-elle d'un ton sarcastique.

Je fais le sourd.

Cela fait déjà deux semaines qu'elle vit sous mon toit à faire sa cure de désintox et j'arrive toujours pas à m'habituer à sa présence ni à ses démons qui nous réveillent en pleine nuit.

Quand je reviens vers le salon, Ali a déserté le canapé. Je la retrouve assise sur le couvercle des toilettes, une main plaquée sur la bouche comme si elle retenait ses nausées. Son front est pâle et luisant.

― Ça va ?

Elle m'offre un sourire plus gêné que sincère.

― Oui.

― Est-ce que ça a un rapport avec...

Le cauchemar de tout mec qui ne veut pas devenir père. Je la revois avaler cette pilule et avoir ressenti...rien. À part un énorme vide. Et putain, j'ignore comment un vide peut peser si lourd. Au fond je sais que c'était une décision juste et raisonnable.

Ali qui suit mon raisonnement secoue la tête.

― Non, je ne crois pas. Je sens mes règles arriver. C'est pour ça, me rassure-t-elle en passant dans la salle de bains pour se laver les mains.

Sa mine est tirée. Je ne peux pas m'empêcher de penser qu'elle a considérablement maigri depuis l'arrivée de sa sœur. Comme si elle l'avait nourri par intraveineuse en lui donnant son énergie. Je n'aime pas du tout ça. Ce n'est pas sain.

À Bout de Souffle [Terminé]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant