Chapitre 48

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Ali

Tout est là. Les souvenirs. Je lui raconte tout en mesure qu'il comprenne bien comment j'en suis arrivée à cet état. Comme s'il était le psy que je n'ai jamais eu.

Je ne me relâche pas. Je ne me tiens plus du tout.

« La première agression est arrivée quand j'avais douze ans. Deux ans après que maman soit morte et que le chaos s'est doucement immiscé chez les Larson.

Avant, on était une famille parfaitement normale avec nos tracas quotidiens. En tout cas il y avait un semblant de famille alors que là...On ne peut plus nous qualifier comme tel.

C'est comme si je me trouvais sur un radeau à flotter sur une mer plate, sans vent dans les voiles, en me demandant si je vais bientôt atteindre le rivage.

Mon choc quand mon père est entré dans la salle de bains est indescriptible. Le verrou de la poignée déjà en ruine avait rendu l'âme quand Michelle l'avait secoué un peu trop fort. Nous étions obligé de faire sans. Mon père empruntait rarement notre couloir, ni la salle de bains. Mais ce jour-là, il l'a fait. J'avais un peu paniqué. J'étais nue, coincée et incapable de me cacher sous l'eau transparente de la baignoire. La serviette était trop loin. Il est resté là à me regarder. Comme si tout était normal. Je lui ai demandé de sortir. Mais il semblait ne pas m'entendre. Il a fait un pas. Puis un deuxième et un troisième.

Aurais-je dû hurler ?

Michelle n'était pas à la maison. Il n'y avait que lui et moi dans cette minuscule pièce.

J'avais trop peur. J'avais trop honte.

Il m'a appelé Emily. Le prénom de ma mère. La première fois.

Il s'est assis sur le rebord de la baignoire et a tendu une main vers mon ventre. Ou vers ma poitrine.

J'ai pété un plomb. Au diable la pudeur. Tout ce que je voulais c'était m'enfuir. Mais aussitôt que j'ai essayé de sortir de la baignoire, il ne m'a pas laissé faire.

Je n'avais pas de voix pour crier.

Je n'avais rien pour me défendre. Rien pour me couvrir.

Cette personne était mon père.

Le frapper ne m'est pas venu à l'esprit. J'étais faible. J'étais assez naïve pour croire qu'il n'allait pas me faire du mal parce que j'étais sa fille et qu'il était mon père. Aussi simple que ça. Faux. Archi faux.

Il a saisi le pommeau de douche et a enroulé le tuyau métallique autour de ma tête. Le tuyau souple était assez long pour qu'il couvre ma bouche et ma gorge. J'ai eu mal aux gencives. J'ai fini par me débattre violemment. Mais je n'ai pas cessé de glisser contre les parois de la baignoire. Ma vision se noircissait. Mon oxygène diminuait.

Quand je me suis réveillée, j'étais allongée sur mon lit, dans ma chambre. Habillée n'importe comment. Séchée. Mouillée entre les cuisses.

Je me suis laissée convaincre que rien ne s'était passé. Absolument rien. Je n'étais même pas partie prendre un bain. J'avais tout rêvé. J'ai donc fait comme si de rien n'était. J'aurais très bien pu délirer. J'ai pu tout imaginer.

J'étais au bout de mon radeau en sachant qu'une personne s'y trouvait à l'opposée comme pour garder une balance entre mon poids et le sien. Mon père, ce déséquilibré, était l'équilibre.

Même maintenant, j'en doute. De ces secondes qui m'ont anéanties. Des années que j'avais une bonne image de mon père. Détruite en une poignée de secondes. Je n'arrivais pas à y croire. De la rapidité que ça a pris.

À Bout de Souffle [Terminé]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant